Dans les anciennes croyances kabyles, existe une catégorie d’êtres surnaturels, qu’on appelle leɣwat, lɣut au singulier.
Lɣut est un homme dévot, un ermite ou derviche, considéré comme particulièrement saint, à qui on attribua des prodiges, et qu’on ne considère pas comme étant un simple être humain, qu’il soit mort ou encore de ce monde, car ce genre de personnage ne meure pas vraiment, mais est simplement arraché à la vue des mortels. Il peut se manifester bien après sa mort sous forme corporelle, homme ou animal, comme c’est le cas pour le marabout de Riquet, près d’Akbou, qui se manifeste tantôt sous la forme de pigeon, tantôt sous la silhouette d’un adolescent, caché dans la pénombre de son mausolée.
Lɣut est le gardien du, ou des sanctuaires qui lui sont dédiés, qui sont souvent le lieu où il est enseveli, son lieu de retraite, souvent une grotte, le lieu où il a vécu et où il est né. Ils sont appelés taqerrabt, taqubbet, lemqam, ou encore lxelwa.
Ces puissances ont ceci de commun que Dieu, leur ayant enlevé la lumière de ce monde (yekkes-asen tafat n ddunnit), les a introduits dans sa propre lumière. Il leur dévoile alors les « secrets de sa connaissance (iweṛṛa-asen lbaḍna-s) » et « leur donne part à son pouvoir bienfaisant (yefka-asen lbaṛaka) », en faveur des autres hommes.
Ils ont ce pouvoir d’intercéder auprès de Dieu, qu’on appelle « ccafuɛa ». Ce sont eux qui évitent les malheurs aux mortels, et punissent ceux qui transgressent.
Lorsque l’humanité fait un écart, qu’une importante décision est à prendre, leɣwat convoquent une assemblée exceptionnelle, nommé « Agraw n leɣwat ».
Les élus tranchent du rachat de la faute qui a provoqué l’assemblée. La peine prononcée peut-être un épisode de sécheresse, une invasion de sauterelles ou la chute prématuré des fruits. Lorsque de telle calamités se produisent, on peut être surs que c’est le fruit de l’intercession de l’Agraw n leɣwat, qui, en nous punissant ainsi, nous a évité la colère divine, qui est bien plus dévastatrice.
Leɣwat arrivent à l’assemblée sous la forme de pigeons, d’aigles et de vautours. Ils se réunissent dans des lieux particulièrement saints, tel que le mont Timezrit des Iflisen Umellil, où ils ont été aperçu en plaine réunion.
Une fois tous réunies, leɣwat déploient leur « ssenǧaq », des voilent multicolores, les même que ceux qui recouvrent leur tombeau, et que déploient leurs fidèles pendant les pèlerinages sous forme d’étendard.
Ils se mettent en cercle, entourés de leurs étendards multicolores, et décident du sort de l’humanité. Celui qui préside à l’assemblée tourne une clé d’argent et annonce ainsi l’ouverture de la réunion. Une fois la réunion close, que les élus se sont entendus sur la convention à adopter, le président tourne à nouveau la clé d’argent pour clore l’assemblée. Alors leɣwat retrouvent leur aspect de volaille, aigle, vautour ou pigeon, et se séparent.
L’assemblée matinale se tient généralement à Michelet, chez Jeddi Menguellat. Celle de midi à Azrou n Thor, l’après-midi à Lalla Khedidja, mais ces réunions se déroulent le plus souvent la nuit.
Il arrive que des passants soient témoins de l’assemblée. Dans quelques rares cas, ce sont des témoins oculaires qui aperçoivent leɣwat réunis en cercles, comme ce fut le cas à Timezrit. Mais le plus souvent, ces puissances sont invisibles, et on ressent à peine un frémissement qui nous traverse le corps quand on passe à côté. Il convient de toujours saluer les lieux saints quand on passe à côté, car celui qui passe devant une assemblée sans la saluer sera abattu par la fièvre.
Salutation des lieux saints : Sslam n Ṛebbi d Nnbi fell-awen, a leɣwat n da i yellan (La paix de Dieu et du prophète, ô Saint d’ici présents).
Avant qu’une telle assemblée n’ai lieu, leɣwat envoient un signe aux mortel pour les avertir. Ils choisissent une personne pieuse du village, homme ou femme, et lui apparaissent en songe. Cette personne verra alors l’Assemblée sublime dans son rêve. Il verra tous les détails de l’assemblée, leɣwat, les étendards, avant que l’un des élus ne lui adresse la parole et lui transmet le message que l’Assemblée veut lui communiquer.
C’est durant ces assemblées que sont décidées les affaires de ce monde. Nulle décision n’est prise par les humains d’avoir été conclu au préalable par la Sublime assemblée, Agraw n leɣwat.
Bibliographie
- Dallet, J. M. Mystagogie kabyle. Fort National, 1969 (Réédition, l’original en 1949). http://www.ayamun.com/MYSTAGOGIE-KABYLE-JM-DALLET.PDF
- Genevois, Henri ; Claudot-Hawad. Croyances. In : Encyclopédie Berbère, 14, 1994. http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/2342