Amrabed

Aït Aîdel

Aït Aïdel

Les At Ɛidel (AïtAïdel) forment une grande tribu non confédérée de la Soummam, à cheval entre les Bibans et les Babors.

Ils sont voisins des Illulen Usamar (Illoula Ouçammeur), des Uzellagen (Ouzellaguen) et des At Weɣlis (Aït Ouaghlis), dont ils sont séparés par la Soummam; des At Ɛebbas (Aït Abbas) et des At Yeɛdel (Beni Yadel) du côté des Bibans, des At Wartiren (Béni Ouartilane), At Xeyyar (Béni Khiar) et des At Ǧlil (Beni Djellil) à l’est, et des Imula (Imoula) au nord. A noter que la tribu nommée At Xeyyar est aujourd’hui appelée At Umɛuc (Beni Maouche).

Le territoire des Aït Aïdel comprend les communes suivantes : Seddouk, Amalou, Bouhamza, Tamokra, et une partie de la commune de M’cisna, dans la wilaya de Bejaia, ainsi qu’un seul village de la commune d’El Maïn, dans la wilaya de Bordj Bou Arreridj.

Il s’agit d’une des plus grandes tribus de Kabylie en termes de superficie, qui se compose de 6 fractions :

  • At Ɛidel proprement dit, du côté de Gueldamen
  • At Nuḥ, dont je suis moi-même originaire
  • At Sidi Idir
  • Bu Ḥemza
  • Imeḥfuḍen
  • Imsisen, qu’on appelle aujourd’hui Sedduq.

C’est sur le territoire de cette tribu que se rejoignent l’Oued Sahel et l’Oued Boussellam, au lieu-dit Tasfart, pour former la Soummam. Ils sont également traversés par la crête de Gueldamen, dont le prolongement culmine au mont Achtoug à 1 392m d’altitude, point culminant des Aït Aïdel.


Histoire

Ammien Marcellin nous parle d’une tribu de la Soummam nommée les Masinissenses, qui habitaient les terres se trouvant au sud de Tiklat. Cette tribu participa à la révolte de Firmus, et fut vaincue en 373 par Théodose. Sur le territoire de cette tribu se trouvait le château de Sammac, frère de Firmus, qui s’appelait Petra. Les ruines de ce château se trouvent aujourd’hui à Mlakou, près de Seddouk, sur le territoire des Imsisen, fraction des Aït Aïdel.

Il semble que Masinissenses soit l’appellation antique des actuelles Imsisen, qui peut, par extension, être vu comme étant le nom antique des Aït Aïdel. On peut déjà voir que dès l’antiquité la région est décrite comme étant fertile et riche en arbres fruitiers, ce qui fera d’ailleurs la richesse des Aït Aïdel durant l’époque moderne.

Nous n’avons pas de mention des Aït Aïdel ou de l’une de leur fraction durant le moyen-âge ou l’époque ottomane. Est fait mention par contre du titre El Aïdli, dans le nom du marabout Sidi Yehia El Aïdli, un érudite soufi du 15eme siècle, ancêtre des marabouts de Tamokra.

El Wartilani nous apprend qu’une guerre civile éclata à Tamokra entre les différentes fractions de marabouts, guerres qui, selon la tradition orale, dura plusieurs années et fut particulièrement sanglante.

Nous savons, d’après les sources coloniales, que les Aït Aïdel avaient pour ennemis les Illulen Usamar (Illoula Ouçammeur), les At Mlikec (Aït Mellikeuch) et les At Xeyyar (Aït Khiar). Le village d’Utrunen, Trouna, chez les At Xeyyar, était entouré d’un mur d’enceinte et d’un fossé pour se protéger des attaques des Aït Aïdel en cas de guerre. Toutefois ces mêmes sources disent que les Aït Aïdel étaient de caractère pacifique et étaient rarement en guerre.

Nous savons également d’après les sources coloniales et la tradition orale que des communautés juives vivaient chez les Aït Aïdel, chose rare en Kabylie. On en trouvait à Tamokra et à Seddouk Oufella.

La tribu était jadis très commerçante, elle produisait en grande quantité des olives, des figues, du raisin, des grenades, et certains de ces villages s’étaient spécialisés dans la fabrication de savon. Les Aït Aïdel sont arrivés grâce à ce commerce à un certain état de prospérité comparé aux tribus voisines. A l’instar des Aït Abbas, leurs voisins, les villages des Aït Aïdel se faisaient remarquer par leur propreté, le fait que toutes les maisons sont couvertes de tuiles et blanchies à la chaux. L’habillement des hommes et des femmes était également plus soigné, et c’est encore aujourd’hui une région qui conserve la forme originale de la robe kabyle.

Tout comme leurs voisins, les At Ɛebbas (Aït Abbas) et les At Wertiren (Aït Ouartilane), les Aït Aïdel devaient sans doute faire partie du royaume des Aït Abbas, mais rien n’indique qu’ils étaient sous l’autorité des Mokrani lorsqu’ils déplacèrent leur capitale vers la Medjana. Ils ont sans doute dû se détacher de l’autorité des Mokrani après l’assassinat de Si Nacer, et n’ont sans doute jamais été sous l’autorité des turcs d’Alger.

Des contingents des Aït Aïdel étaient présents à Bougie lorsqu’elle fut prise le 29 septembre 1833 par les français. Ce sera la première fois que les Aït Aïdel eurent à combattre les français.

Nous savons que les Aït Aïdel eurent à combattre, en 1842, les troupes du général Sillègue, mais nous ne savons pas si ce fut dans le Guergour ou au sud de l’Oued Sahel.

Les Aït Aïdel était alors la seule tribu des Bibans a ne pas être sous le contrôle des Mokrani.

Le 30 avril 1851, 30 fantassins des Arraw n Sidi Yehia, les marabouts de Tamokra , partirent chez les At Mlikec (Aït Mellikeuch) chercher Bou Baghla. Ils le ramenèrent le lendemain, 1er mai, à Tamokra , et lui accordèrent leur protection.

Bou Baghla se rendit alors au marché de Tansaout, Suq Lexmis (Souk Lakhmis), pour y prêcher la guerre sainte, et réussit à soulever les Aït Aïdel.

Le 5 mai, les fantassins des Aït Aïdel participèrent aux côtés de Bou Baghla à une attaque contre les Imula (Imoula). Peu de temps après, Bou Baghla épousa une fille de Tamokra, nommée Yamina ou Hammou ou Bali, originaire du village de Tazert, chez les At Ɛebbas (Aït Abbas).

Le 8 juin 1851, après une sanglante défaite de Bou Baghla dans le Guergour, plusieurs tribus voisines des Aït Aïdel firent leur soumission aux français, dont notamment les At Yeɛla (Beni Yaala), les At Wertiren (Beni Ouartilane) et les At Cbana (Beni Chebana).

Le 22 juin, après la soumission des At Yemmel (Aït Immel) et des At Weɣlis (Aït Ouaghlis), les Aït Aïdel entamèrent des pourparlers avec le général Camou.

Le 25 juin, alors que Bou Baghla campait chez les Uzellagen (Ouzellaguen), le général Camou attaqua Ighil n Tala, où s’était regroupé le contingent des Aït Aïdel, et au pied duquel s’était positionner la cavalerie de Bou Baghla. A la fin de la journée, tous les villages des Uzellagen avaient été brûlés, ainsi que le village d’Ighil n Tala, du côté des Aït Aïdel.

Le 1er juillet, les notables des Aït Aïdel se réunissent à Akbou, avec le général Camou, le bachagha Mohamed Saïd Benali Cherif, et les notables des At Ɛebbas (Aït Abbas), des Illulen Usamar (Illoula Ouçammeur), des Uzellagen (Ouzellaguen) et des At Weɣlis (Aït Ouaghlis) ; ils s’entendirent sur un cessez-le-feu, et promirent à Benali Cherif de ne plus combattre du côté de Bou Baghla.

Le 3 juillet 1851, le général Camou marcha contre les Arraw n Sidi Yahia, les marabouts de Tamokra qui avaient amené Bou Baghla dans la région et qui l’avaient protégé. Les habitants de Tamokra évacuèrent le village sans résistance, et le village fut brûlé et entièrement détruit par les troupes françaises.

Les français comptèrent à Tamokra jusqu’au 7 juillet. C’est là que les Aït Aïdel remboursèrent à Benali Cherif la valeur des pertes qu’ils lui avaient fait éprouver.

Le 22 juillet 1852, Bou Baghla attaque les At Ɛebbas (Aït Abbas) et les Illulen Usamar (Illoula Ouçammeur). Des contingents des Aït Aïdel défendirent les Illoulen en coupant la route à Bou Baghla, obligeant ses cavaliers à se replier.

En 1857, un forgeron de Seddouk Oufella nommé Muḥend Ameẓẓyan Aḥeddad devient lemqeddem, le chef spirituel, de la confrérie soufi de la Rahmania, l’ordre religieux le plus important de Kabylie. Il transfère le siège de la confrérie à Seddouk Oufella, son village, qui devient le pôle religieux de toute la Kabylie.

Les Aït Aïdel étaient alors officiellement sous l’autorité du Bachagha d’Akbou, Si Mohand Saïd Benali Cherif, qui avait nommé son fils, Si Mohammed Cherif, comme caïd des Aït Aïdel. Mais dans la réalité le Bachagha n’avait aucune autorité sur les Aït Aïdel qui obéissait plutôt à Aziz, le fils de Cheikh Aheddad.

En 1871, les rivalités tribales et politiques entre les Aït Aïdel incarnés par Cheikh Aheddad et les Illulen incarnés par Benali Chérif étaient arrivées à un point où la guerre était imminente. C’est dans ce contexte qu’une délégation menée par le Bachagha Mokrani de la Medjana tenta une médiation pour éviter la guerre.

El Mokrani arriva à Seddouk Oufella le 8 janvier 1871, et rencontra Cheikh Aheddad avec plusieurs caïds de la région. Le lendemain, la délégation, accompagnée de Aziz, le fils de Cheikh Aheddad, alla voir Benali Cherif à Akbou, et la paix fut ainsi signée entre Benali Cherif et Cheikh Aheddad grâce à la médiation de Mokrani.

Cheikh Aheddad avait deux fils, l’ainé, Si Mahmed, était d’un caractère très religieux, et n’aspirait qu’à faire le Djihad et mourir en martyr, c’était d’ailleurs un ancien lieutenant de Bou Baghla en 1851. Aziz par contre était plus poussé vers la politique, et s’était fait l’adversaire juré de Benali Cherif. L’administration coloniale ne voulait pas se mettre à dos la famille de Cheikh Aheddad à qui elle faisait de nombreuses concessions, accordant même à Aziz le titre de « Caïd des Amoucha”, mais il avait démissionné et était revenu à Seddouk Oufella, d’où il faisait son possible pour contrecarrer les ambitions de Benali Cherif. C’était Aziz qui était le véritable chef des Aït Aïdel, Cheikh Aheddad, trop vieux, n’était que le chef spirituel qui était vénéré de son vivant comme un saint.

Le 15 mars 1871, le Bachagha Mokrani déclare la guerre à la France, et essaie de rallier à sa cause les chefs locaux. Ne réussissant pas à convaincre Benali Cherif de prendre les armes, il se tourne vers Aziz, le fils de Cheikh Aheddad.

Le 27 mars, à l’annonce de l’évacuation de Bordj Bou Arreridj, Aziz fait une prière publique à Seddouk Oufella pour l’extermination des Français, prière qui a été faite sans l’autorisation de Cheikh Aheddad, qui était de son côté opposé à la guerre.

Le 30 mars, Aziz décide de créer à l’emplacement de l’actuelle Seddouk un marché libre nommé Ssuq n Imsisen, le marché des Mcisna.

Le jeudi 6 avril, une réunion a eu lieu à Seddouk Oufella entre Cheikh Aheddad, les moqaddem de la Rahmania, Si El Hadj Bouzid El Mokrani, frère du Bachagha Mokrani, Si Mohamed Larbi Ben Hammouda, un autre proche de Mokrani, et quatres des grands chefs des At Ɛebbas (Aït Abbas). A la fin de la réunion une alliance a été conclue entre les Mokrani et Cheikh Aheddad.

Le 8 avril 1871, Cheikh Aheddad, qui n’était pas sortie de sa retraite, sa xelwa, depuis des années, se rendit au marché des Imsisen, et prêche la guerre sainte. Il remit à la foule un drapeau que lui aurait donné le prophète pendant la nuit, et annonce que ses deux fils seraient ses khalifas, ses lieutenants.

Le 10 avril 1871 débute officiellement l’insurrection dans la Soummam. Dès lors les contingents des Aït Aïdel sont sous le commandement direct de Si Mehmed.

Le 14 avril, Aziz réunit ses contingents, et organise une prière commune dont son frère Si Mehmed était l’imam. Cette prière qui s’est déroulée à Takaats et qui fut célébrée au nom de l’extermination des français, a réuni plus de 10 000 combattants.

Le 5 mai, Mokrani est tué près de Aïn Bessam. Ce sera son frère, Boumezrag, qui lui succède à la tête de l’insurrection.

Le 30 juin 1871, après l’énorme défaite d’Icheridhen et la soumission des tribus du nord du Djurdjura, Si Aziz, fils de Cheikh Aheddad se rend au général Lallemand au village d’Aït Hichem. Le jour même un messager de Seddouk Oufella apporte au général un lettre du Cheikh Aheddad dans laquelle il explique que c’est lui qui donna l’ordre à Si Aziz d’aller se rendre.

Le 2 juillet, c’est Si Mehmed qui est fait prisonnier, il a été trahi par un proche du nom de Saïd Ou Raba qui le livra aux français.

Le 4 juillet, les notables des Imsisen, la fraction nord des Aït Aïdel, se rendent à Bougie pour présenter leur soumission aux français, en livrant des armes et des otages, et en payant un contribution de guerre.

Le 13 juillet 1871, Cheikh Aheddad se rend au général Saussier, qui compait à Merdj El Oumena au nord de Seddouk.

Après la défaite de Boumezrag à la bataille de Tirourda, le 15 juillet 1871, il établit son camp chez les At Wertiren (Béni Ouartilane), alors que le général Saussier campait toujours chez les Imsisen près de Seddouk.

Le 20 juillet, Saussier gagne Trouna d’où il attaque Tansaout, village des Aït Aïdel frontalier des At Wertiren (Béni Ouartilane). Les troupes de Boumezrag rencontrent les français au lieu- dit Tagra, à côté de Tansaout, et l’affrontement vire à l’avantage des français.

Boumezrag évacua alors ses troupes de chez les At Wertiren (Béni Ouartilane) pour gagner At Ǧeɛfer, Djaafra, mais il fut attaqué par les français au moment où il traversa l’Oued Mahadjar, Tasift n At Ḥala, près de l’ancien village de Takhrerat du côté d’El Maïn, qui lui firent éprouvé une lourde défaite. Boumezrag se réfugia à Tamokra où il passa la nuit, avant de prendre le lendemain la route d’Ouargla.

Après cette défaite et l’incendie de Takhrerat qui fut complètement rasé par les français, les Aït Aïdel firent leur soumission le lendemain, 21 juillet 1871, pour éviter que leurs villages ne soient brûlés. Ils seront frappés d’une contribution de guerre de 700 000 Fr et la confiscation de 3400 hectares. Un village de colonisation est également bâti à l’emplacement de Ssuq Imsisen, qui deviendra plus tard la ville de Seddouk.

Linguistiquement parlant, les Aït Aïdel ont presque tous le même accent, avec quelques différences selon les fractions. Le parler des Aït Aïdel, qu’on appelle taɛidelt, est souvent cité en exemple comme étant le parler standard de la Petite Kabylie. En réalité, les Aït Aïdel sont à cheval entre le parler des Illulen Usamar (Illoula Ouçammeur) et celui de la Petite Kabylie. Ils ont de similaire avec les Illulen le fait de dire iḍelli, aḍar, iduḍan, ils disent « d agla-w », au lieu de « d ayla-w », comme le reste de la Kabylie. Ils ont également la caractéristique de dire tameṭṭuyt, tafsuyt, au lieu de tameṭṭut, tafsut. Là où on dit yebbʷeḍ, yebbʷi-d, en Grande Kabylie, et yeggʷeḍ, yeggʷi-d chez les Illulen, les Aït Aïdel disent yewweḍ, yewwi-d. Une partie des Aït Aïdel ont la caractéristique de dire tavʷurt pour la porte, alors que l’autre moitié disent tawwurt. Ils disent également wayi, ayur, et ceyyeɛ. Ils ont aussi cette caractéristique de changer parfois le ɛ en ḥ, ils disent par exemple tajmaḥt et taswiḥt au lieu de tajmaɛt et taswiɛt.

Bibliographie

2 réflexions sur “Aït Aïdel”

  1. Bonjour,
    Merci pour toutes ces vidéos et ces articles très enrichissants.
    Est-il prévu ou possible de faire un article sur :
    Sidi Idir
    (dont l’ancêtre éponyme serait un disciple de Sidi Yahya al Aïdli)
    l’histoire de Cheikh Sidi Yahya al Aïdli dont j’ai entendu dire qu’il avait combattu les turcs et été disciple de Sidi AbdRahman al Taalibi d’Alger.

    Enfin, où est-il possible de se procurer l’écrit « al Rihla » qui semble une source incontournable pour l’histoire de la région ?

    Merci dans tous les cas et très bonne continuation.

    1. Bonjour.

      Je suis personnellement un descendant de Sidi Yahia El Aïdli. Il n’a pas combattu les trucs car il est mort en 1477 avant l’arrivée des turcs, il a étudié avec Sidi Abderrahmen d’Alger, ils ont été dans la même classe. En effet on raconte à Tamokra que Sidi Idir serait l’un de ses descendant qui épouser sa fille, mais les test génétique ADN montrent que les descendant de Sidi Yahia et ceux de Sidi Idir sont pratiquement semblables génétiquement ce qui fait que Sidi Idir serait soit un des fils ou petits fils de Sidi Yahia soit un cousin de ce dernier

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