Amrabed

At Betrun

Les At Betrun sont l’une des deux confédérations qui forment ce que l’on appel Igawawen. Ils se faisaient eux-mêmes appelé « Ul n Yigawawen », le cœur des Zouaoua.

Ils sont décrit par les français comme étant la tribu la plus industrielle de Kabylie, où l’ont trouve le plus grand nombre d’ouvriers en métaux. Ils sont également décrits comme ayant les lois les plus durs de Kabylie, qu’ils appliquent avec sévérité.

Le territoire des At Betrun correspond aujourd’hui aux communes de : Aït Yenni, Ouacif, Iboudraren, ainsi qu’une petite partie de celles d’Aït Boumahdi et d’Akbil.

Ils se composent de 4 tribus, à savoir :

  • At Yenni, qui est la tribu la plus grande et la plus riche de la confédération, notamment le village At Larebɛa qui s’était spécialisé dans la fabrication de bijoux, d’armes à feu et de poudre a canon, et qui est encore aujourd’hui spécialisé dans l’industrie des bijoux kabyles.
  • At Wasif
  • At Budrar, également appelé Ibudraren
  • At Bu Ɛekkac

Une cinquième tribu existait jadis, qui portait le nom de « At U-Belqasem », mais à cause de luttes intestines, les villages de cette tribu furent absorbés par les autres tribus des At Betrun. Ainsi le village de Taxabit, appelé aujourd’hui Taourirt el-Hadjadj, appartient aujourd’hui aux At Yenni ; Tassaft Ouguemoun, Aït Eurbah et Aït Ali Ou Harzoun adhérèrent alors aux At Budrar, mais les At Wasif finirent pas s’emparer de ui aux At Yenni ; Tassaft Ouguemoun et Aït Eurbah, et les rattachèrent à leur territoire.

Histoire

Les At Betrun sont cités par Ibn Khaldun comme étant l’une des tribus qui forment ce qu’il a appelé les Zouaoua. Toutefois, dans la liste qu’a donné Ibn Khaldun, At Yenni est cité a part, alors qu’elle fait aujourd’hui partie des At Betrun.

Durant l’époque ottomane, les At Betrun étaient alliés au royaume de Koukou, mais n’étaient pas directement sous son contrôle et ne lui payaient aucun impôt.

Durant cette époque, les At Betrun, et plus particulièrement les At Yenni, se livraient à la fabrication de fausse monnaie, au point qu’ils avaient inondé les marchés d’Alger avec les fausses pièces qu’ils fabriquaient. Ceci poussa le Bey Mohammed Ben Ali, surnommé «Ddebbaḥ الدباح », l’égorgeur, à lever une armée pour soumettre les At Betrun.

Vers 1746, l’armée ottomane s’attaqua au marché des At Wasif, nommé Suq Ssebt, mais essuya une cuisante défaite fasse aux contingents des At Betrun. Les trucs ne réussirent jamais à soumettre les At Betrun où à pénétrer leur territoire.

3 ans plus tard, en 1749, les marabouts des At Betrun se réunirent chez les At Wasif, et déclarèrent l’annulation du droit d’héritage aux femmes, pour éviter que des étrangers, notamment des turcs, puissent posséder des terres aux seins des At Betrun en épousant des femmes de la confédération.

Quelques années plus tard, sans que nous connaissions la date exacte, une guerre civile éclata entre les tribus des At Betrun. Cette guerre entraina la disparition d’une des cinq tribus de la confédération, à savoir celle des At U-Belqasem. Les autres tribus se disputèrent les villages des At U-Belqasem : At Yenni réussi à en arracher un, que voulaient prendre les At Wasif. Les trois autres se sont alors rattachés aux At Budrar, avant que les At Wasif ne s’emparent de deux d’entre eux.

A cette époque, les villages des At Bu Ɛekkac, la plus petite tribu des At Betrun, se faisaient tout le temps la guerre entre eux. La légende raconte que c’est a cause d’une malédiction qu’a porté sur eux Yemma Xliǧa, plus connu sous le nom de Lalla Khedidja, la maraboute des Imceddalen.

En 1830, un marabout d’Ighil Bouammas, village des At Budrar, du nom de Sidi El Djoudi, réussi à fédérer les At Betrun et les At Mengellat sous un drapeau commun, pour partir à la rescousse d’Alger, lorsqu’elle fut attaquée par les français. Les At Budrar étaient alors commandés par un certain Ɛli n At Yusef U-Ɛli, les At Wasif par Ɛli U-Mḥemmed U-Qasi, les At Bu Ɛekkac par Lḥaǧ Lmextar n At Sɛid, et les At Yenni par Brahem U-Ḥmed, et le marabout Si Lḥaǧ Lamin.

En 1849, les Igawawen s’allièrent avec les Igecdal, les Guechtoula, pour s’attaquer aux tribus kabyles qui ont fait leur soumission aux français. Lorsque la même année, les français attaquèrent les Igecdal, les At Betrun leur envoyèrent à la rescousse 1200 combattants, dont 700 des At Wasif, 300 des At Yenni et 200 des At Budrar, toujours sous le commandement de Sidi El Djoudi.

Dans le courant de l’année 1852, les autorités françaises essayèrent de négocier avec les Igawawen. Ces négociations débouchèrent sur la soumission de Sidi El Djoudi, le 6 avril 1852. Les closes de cette soumissions stipulaient que Igawawen et les At Seqda devaient payer un tribut annuelle, et permettre la libre circulation des troupes françaises sur leur territoire et l’ouverture de routes. Sidi El Djoudi a entre autre été nommé bachagha des Zouaoua. Une autre condition imposée par les français était l’expulsion de Cherif Bou Baghla du territoire des Igawawen.

Cette soumission, qui ne sera effective, ne fera que diviser Igawawen et les At Sedqa, et isoler Sidi El Djoudi. At Betrun vont se diviser en deux fractions : ceux qui soutiennent Sidi El Djoudi, notamment At Budrar et At Bu Ɛekkac, et ceux qui refusent la soumission, que sont les At Yenni, At Wasif et le village d’At Ɛli U-Ḥerzun. Les At Wasif iront même jusqu’à attaquer At Budrar, et tuer un proche de Sidi El Djoudi.

Au printemps 1854, les At Betrun participèrent à la bataille du Haut Sébaou, sous le commandement de Lalla Fatma N’Soumer et de Chérif Boubaghla, pour repousser les troupes du Capitaine François Wolff, qui essayèrent de s’infiltrer en Kabylie.

Le 28 mai 1857, les troupes françaises du maréchal Randon réussissent à soumettre les At Iraten. Le 24 juin, 4000 kabyles se retranchent dans les villages d’Icheriden et Aguemoun Izem pour barrer la route aux troupes françaises, sous le commandement de Sidi El Djoudi, son fils Si Ahmed Ou El Djoudi, et Lalla Fatma N’Soumer.

La bataille d’Icheriden dura jusqu’au 30 juin, et se termina par plus de 400 morts coté kabyles, et 371 victimes coté français dont 44 morts. C’est l’une des batailles les plus sanglantes jamais livrés en Kabylie.

Le 25 juin 1857, deux divisions de l’armée française, sous le commandement des généraux Renault et Yusuf, commencent à envahir le territoire des At Yenni. Le contingent d’At Yenni, ainsi que ceux des autres tribus qui pouvaient leur porter secours, étaient alors tous à Aguemoun Izem, où la bataille faisait rage. Les troupes françaises prirent facilement 4 des 7 villages des At Yenni, dont le dernier à tomber était celui de Taourirt el-Hadjadj, le 28 juin. Les villages furent tous brulés et en grande partie détruits.

La plus grande partie du territoire des At Yenni était sous occupation française. Comme les At Yenni refusaient de se soumettre, les troupes françaises dévastèrent les villages et les champs.

Le 30 juin, les kabyles sont vaincus par les français à Aguemoun Izem. Le même jour, les At Betrun firent leur soumission aux français. Des affrontements éclatèrent chez les At Wasif entre ceux qui voulaient se soumettre, et ceux qui voulaient continuer le combat, malgré le fait que leur contingent à été vaincu à Icherident et Aguemoun Izem, et que le territoire des At Yenni avait été occupé et dévasté. Ils finirent par présenter leur soumission en même temps que les At Yenni, suivie quelques jours plus tard par les At Budrar et les At Bu Ɛekkac.

En 1840, la confédération des At Betrun comptait 26 390 habitants. En 1858, après les combats que nous venons d’évoquer et le massacre des At Yenni, elle ne comptait plus que 9 018 habitants. C’est dire a quelle point les At Betrun avaient souffert de la guerre. 10 ans plus tard, en 1868, la population avait grimpé à 19 749 habitants, mais en 1872, juste après la révolte de Mokrani, à laquelle les At Betrun avaient participé, la population rechuta de nouveau à 16 932 habitants.

Parmi les villages des At Budrar, il en est 3 qui sont un peut particuliers. Le premier est le petit village de Derna, qui faisait jadis partie des At Ɛeṭṭaf, dans la confédération voisine des At Mengellat, et qui s’est rattaché aux At Budrar avant l’époque coloniale.

Nous avons aussi le village d’At Ɛli U-Ḥerzun, qui faisait partie de l’ancienne tribu des At U-Belqasem, et qui est toujours resté à l’écart des At Budrar bien qu’il y ai adhéré, au point que le village a été considéré par les français comme formant une tribu à part.

Enfin nous avons le village d’At Weɛban, qui est le plus isolé de tous les villages des Igawawen. Ce village appartenait à l’origine à la tribu des At Weqbil, qui fait partie de la confédération des At Mengellat. Tous comme Derna, il a adhéré aux At Budrar. Mais il se trouve qu’aujourd’hui les habitants de ce village se considèrent comme faisant partie des At Weqbil, leur ancienne tribu, et non des At Budrar. On peut y voir le résultat du découpage administratif, qui a fait qu’At Weɛban fait partie aujourd’hui de la commune d’Akbil et non de celle d’Iboudraren, du fait que l’unique route qui permet d’accéder au village passe par Akbil, mais il faut dire que même au niveau phonétique, les gens d’At Weɛban ont un accent particulier qui est plus proche de celui d’Akbil, mais qui est différent du kabyle des At Budrar.

A ce sujet il faut signaler que les At Betrun ont presque tous le même accent, qui leur ai propre. Ils ne prononcent pas le son « ɛ », ils disent par exemple « seɣ » au lieu de dire « sɛiɣ ». Les hommes disent « tabbʷurt, cwiṭ bbʷaman », et les femmes disent « tappʷurt, cwiṭ ppʷaman » ; leurs femmes ont même la particularité de dire « Ṛeppʷu » pour « Ṛebbi ». Ils disent également « ad tafeḍ », alors qu’ailleurs en Kabylie ont dit « ad tafeḍ ».

Il y a encore plain de détail à raconter sur les At Betrun, étant l’une des région les mieux documentée de Kabylie, et également du fait que je connais assez bien les régions d’At Yenni, Iboudraren et At Weɛban, et que je m’y rend assez souvent. Je vous ai laissé sous la vidéo de nombreux ouvrage en Open Source pour ceux qui veulent creuser d’avantage le sujet.


Bibliographie

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