Extrait de Léo Frobenius :
À la suite des migrations de peuples, qui ont balayé l’Afrique du Nord au cours des millionnaires, il s’est constitué ici deux groupes principaux d’habitants ; établis côte à côte, brassés les uns avec les autres, ils manifestent une certaine disparité : les Arabes et les Berbères. Ces deux produits de longs brassages ethniques prédominent tellement que jusqu’aux colonisations modernes, tous les petits restes d’autres peuples, comme les Juifs et les Turcs, n’entrent pratiquement pas en ligne de compte par comparaison. Les Arabes et les Berbères ne diffèrent pas seulement par la langue. Encore une fois, les uns et les autres sont l’aboutissement de longues séries d’évolutions et de mélanges.ni les Berbères ni les Arabes ne doivent être considérés comme une race. La qualité de Berbère et la qualité d’Arabe sont des formes d’expression de mentalités diverses. C’est ce qu’illustre bien l’importance que revêt pour eux la mosquée. Les Berbères et les Arabes sont aujourd’hui musulmans. Mais pour le Berbère, la djemaa, la mosquée, est aujourd’hui encore la maison de réunion des hommes, la mairie ; c’est ici que se tiennent les services divins; mais également ici que les hommes se réunissent pour discuter de choses sérieuses ; c’est ici que passent la nuit les amis; la djemaa est l’incarnation du sentiment communautaire, et c’est également de ce sentiment communautaire que dérive le cérémonial religieux, l’exercice du culte.- Mais pour l’Arabe, la mosquée est le symbole d’une religion à l’échelle du monde, qui unit et unifié. Pour l’Arabe, une mosquée est le lieu du culte de l’islam, qui est partout pareil, tandis que pour le Berbère, la mosquée est le temple de son sol natal. L’Arabe ne connait qu’un cosmos, le cosmos; pour le Berbère, le pays natal est un microcosmos dans le macrocosmos.
Ces divergences sont d’une grande importance. La conception de l’univers des Arabes connaît des légendes et des idéaux généraux, celle des Berbères connaît des idées personnelles et des mythes cosmogoniques. La créativité des Arabes s’est exprimée dans l’idéal unique de l’Islam ; le démoniaque berbère a donné au christianisme un grand nombre de pères de l’Eglise.
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Léo Frobenius. Volksmarchen der Kabylen (la civilisation kabyle). Tome I.