Amrabed

Boucif

Boucif

En rentrant dans sa tribu après le combat qu’il avait livré le 12 juillet 1849 au colonel Canrobert dans les At Mlikec, le marabout Si El Djoudi trouva chez lui un jeune aventurier qui se donna comme le fameux Boumaaza, le promoteur de l’insurrection du Dahra, qui avait fait sa soumission au colonel de St-Anaud, le 13 avril 1847, et qui avait été envoyé en France. Il raconta qu’il s’était évadé de la prison où on l’avait enfermé, qu’il avait pu regagner l’Algérie et qu’il venait pour entrainer les kabyles à la guerre sainte. Si El Djoudi reçut d’abord avec méfiance cet arabe inconnu ; il craignait que ce ne fût un émissaire envoyé par les français pour l’assassiner, et ce ne fut que quand d’anciens partisans de Boumaaza, qui étaient venus chercher fortune en Kabylie, lui eurent juré que c’était bien Boumaaza, qu’il l’accueillit en s’excusant d’avoir eu aussi mauvaise opinion de lui.

A ce moment, un parti de la soumission commençait à se former chez les Igawawen, qui avaient besoin de voyager en pays arabe pour se procurer des moyens d’existence ; Si El Djoudi voyait son influence décliner et il pensa que le jeune homme qui se présentait à lui et qui ne paraissait pas de taille à éclipser jamais sa propre influence, pourrait lui servir à reconquérir un regain de popularité ; il se mit à patronner le nouveau chérif, il lui fit cadeau d’un cheval et d’un sabre et on l’appela tantôt Boumaaza, tantôt Si Mohamed Ben Abdellah Bou Sif (l’homme au sabre). Son véritable nom était, parait-il, Si Mohamed El Hachemi, et il était marocain, originaire du Tafilalet. Il avait été un des compagnons de Boumaaza, et fait prisonnier, il avait été interné en France.

Après son évasion, ayant débarqué à Tunis, il avait regagné le Maroc en passant par le sud, et avait fait un assez long séjour à Ouezzane, chez Si El Hadj El Arbi, le grand maître de l’ordre de Mouley Taïb. Il paraît avéré que Si El  Hadj El Arbi, après l’avoir affilié à son ordre religieux, lui avait donné la mission de soulever la Kabylie. Il lui aurait remis un talisman qui devait le rendre invulnérable. Arrivé en Kabylie, il avait passé quelques jours à la zaouïa de Si Abderrahmane Bou Kobrin, et avait gagné le Djurdjura en passant par Tizi Ouzou.

Le chérif, avec une escorte composé de 3 cavaliers, parcourut les tribus et les marchés des Igawawen, en compagnie du fils de Si El Djoudi, nommé Si Ahmed, et il y cherchait des adhérents et des ziara (offrandes) pour la guerre sainte. Il mit dans ses intérêts la maraboute d’Ouerdja, Lalla Faḍma, à qui il faisait de nombreuses visites.

Ce qui poussait Igawawen à suivre le chérif, c’était un désir de vengeance. Peut après l’expédition du colonel Canrobert dans les At Mlikec, les At Menṣur et les Cheurfa avaient tendu une embuscade à des voyageurs des Igawawen, près du défilé des Porte de Fer, et ils avaient arrêté 11 individus des At Ɛeṭṭaf, des Aqbil et des At Budrar. Cinq de ces malheureux, qui avaient cherché à s’enfuir, avaient été tués à Iftissen, chez les Imceddalen, ancien campement des colonnes turques, et leurs corps avaient été brûlés ; 3 des prisonniers avaient réussi à s’enfuir, et les 3 autres avaient été conduits à Aumale (Sour El Ghozlane). Sur la demande du père d’un de ces derniers, le colonel Canrobert les avait mis tous en liberté, le 7 août 1849.

Igawawen avaient juré de tirer une vengeance éclatante des At At Menṣur et des Cherufa.

Tous les anciens cavaliers de Ben Salem restés dans le pays se joignirent au chérif, ainsi que tous les coureurs d’aventures des pays circonvoisins. Le chérif Mouley Brahim, ancien compagnon de Mouley Mohamed Bou Aoud, alla également s’unir à lui, et lui entraina à son parti la fameuse association de malfaiteurs des Tolba Wedris (Ṭṭelba udebbuz, de Sidi Wedris).

Le chérif envoya des lettres dans toutes les directions. Le Bachagha Belkacem Ou Kaci, dans un voyage qu’il fit à Alger à la fin d’août 1850, en remit au bureau arabe plusieurs qui avaient été adressées à des tribus de son commandement. Il en envoya particulièrement aux tribus de Bouira, aux Beni Slimane, aux Aribs, pour les inviter à se joindre à lui pour la guerre sainte. En voici une écrite aux Imceddalen, et à leur caïd El Hadj Slimane Ben Dris, qui a été remise le 25 aout au colonel Canrobert :

A El Hadj Slimane Ben Dris et à tous les Mecheddala sans exception.

Nous avons appris que vous réunissez des grains pour les livrer, comme achour, aux roumis : Dieu ne peut accepter cela. Dieu aime celui qui combat selon ses commandements.

Si vous n’obéissez pas à nos ordres et si vous payez l’achour, Dieu vous punira et vous aurez à vous en repentir. Un autre jour je n’écouterai plus vos paroles.

Je m’efforce de vous ramener au bien. Dieu nous a dit dans son Saint Livre : « Chacun doit suivre sa religion et faire ses efforts pour marcher dans sa voie ».

Aux At Yeɛla, il annonçait qu’il allait se fixer chez eux à Tighremt et aux At Ɛisi, et qu’il marcherait de là, sur Bouira et sur Aumale (Sour El Ghozlane), d’où il allait chasser les chrétiens.

Le colonel Canrobert fit relever par 50 zouaves la garnison de tirailleurs qui occupait le fort de Bouira, et il réunit à Aumale 400 cavaliers arabes qui devaient se tenir prêts partir au premier signal. Un goum de même force était également réuni à Bouira.

Boucif et Si El Djoudi avaient convoqué, pour le 2 septembre, une assemblée générale au marché du Had des At Budrar. Un grand nombre de chefs y assistèrent, et on y décida que les contingents des tribus se réuniraient le lendemain.

On récita la Fatiha, et on fit une décharge générale des armes pour sceller la résolution prise.

Le chérif alla établir son camp, le 3 septembre, à Takerboust, chez les At Kani.

Les Cheurfa et les At Menṣur, qui se voyaient menacés, allèrent demander des secours à Aumale, et le colonel Canrobert fit partir le sous-lieutenant Beauprètre, dans la nuit du 4 au 5 septembre, avec 330 chevaux de goums.

La bataille de Beni Mansour, le 6 septembre, fut un échec pour Boucif, qui dut se replier avec Sidi El Djoudi dans le Djurdjura.

Après cet échec, les Igawawen s’était dispersés, il ne restait plus que de petits rassemblements à Selloum et sur la crête du Djurdjura. Les Les At Yeɛla et les Imceddalen, qui avaient fourni des contingents à Boucif, brûlèrent l’Azib que Si El Djoudi possédait dans le village d’Ath Hammad, chez les Imceddalen, comme signe de soumission.

Le 3 octobre, Boucif accepta d’affronter les troupes de Beauprètre, épaulé par les tribus kabyles soumises, au lieu-dit l’Azib, dans la plaine des At Mlikec. Après un assaut contre les troupes françaises, où il était épaulé par Si Ahmed, le fils de Sidi El Djoudi, il tomba frappé d’une balle entre les épaules, après avoir été attaqué par des cavaliers.

La tête du chérif, conservée au moyen d’une légère préparation, fut exposée avec un écriteau, le 7 octobre, sur le marché du dimanche d’Aumale, et le jour même, elle fut envoyée à Blida au général commandant de la division.

Bibliographie

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