Amrabed

Iɛessasen – Gardiens tutélaires

Quand on évoque iɛessasen, on pense directement aux gardiens tutélaires des maisons, iɛessasen n wuxxam, car les maisons ont des gardiens – Axxam s iɛessasen.

Il est une tradition à Alger, où j’habite, qui consiste à saluer la maison en entrant même si elle est vide, car elle n’est jamais totalement vide, il y a toujours ɛessas ddar عساس الدار, le gardien de la maison.

Ce gardien est un délégué de Dieu pour surveiller la maison, car l’homme n’est que de passage sur terre, et rien de ce qu’il pense posséder ne lui appartient vraiment, il n’est qu’un locataire dans un domaine qui lui a été attribué par Dieu. Car, comme dit le dicton : Ayla n Ṛebbi, nekkni n Ṛebbi ! (Tout ce qu’on peut avoir appartient à Dieu, et nous sommes à Dieu !)

Le gardien tutélaire, aɛessas n wuxxam, est le véritable propriétaire de la maison. On se garde bien de le vexer par des cris, des disputes et des agissements malhonnêtes, car si nous gérons consciemment ce qui nous a été confié, les iɛessasen intercéderont en notre faveur auprès de Dieu.

Le gardien habite dans la maison, généralement dans le grenier à grain, akufi. Il habite également dans la porte et le seuil, tawwurt d umnaṛ, et également dans les trois pierres du foyer, qu’on appel en kabyle iniyen, ainsi que le pilier central, ajgu alemmas, et la poutre faîtière, asalas. Tous ces lieux sont considérés comme sacrés, et ne peuvent être installés ou changés sans sacrifice. Si l’on doit remplacer l’une des pierres du foyer ou la jarre qui sert de grenier à grain, on prendra soin d’immoler une bête et de tacher la jarre ou la pierre avec son sang avant de la placer dans la maison.

Dans le village d’Aït Hichem, dans la région de Michelet, c’est dans la poutre faîtière, asalas, que sont déposés après la circoncision le prépuce et les cheveux coupés des jeunes enfants. Il s’agit donc d’une offrande faite aux iɛessasen n wuxxam pour qu’ils protègent l’enfant.

Il arrive aussi qu’il y ai un figuier dans la cour d’une maison ; on dira de ce figuier que c’est un gardien, d aɛessas. On prendra soin à ne pas le couper, au risque de le voir saigner comme un être humain, car il s’agit d’un arbre sacré.

La légende raconte que l’hôpital de Michelet a été construit sur un terrain appelé « Amalu », sur lequel il y avait des arbres sacrés, des iɛessasen ; le jour où on se mit au travail et qu’il fallut couper les arbres, ceux-ci laissèrent couler du sang. Depuis ce jour, chaque année, il y a un mort parmi la famille qui a vendu le terrain aux français, au point qu’aujourd’hui il n’en reste plus aucun homme vivant et que la famille en question a été décimée, tenger.

Les vieux arbres, creux de préférence, surtout les oliviers, les genévrier et les figuiers, sont souvent sacrés et habités par iɛessasen. On y attache un morceau de vêtement longuement porté dans le but de se purifier d’un mal qu’on voudra laisser sur ce tissu. Cette coutume se retrouve partout en Algérie. Elle est attestée par l’Apologiste chrétien Arnobe qui vivait à la fin 3ème siècle dans l’actuelle Tunisie.

Parmi les noms qu’on donnait jadis aux iɛessasen, on trouve souvent le terme « lewkil », dont le féminin, tawkilt, désigne une autre créature mythologique qu’on retrouve en Kabylie, une sortie de fée, un esprit de fillette qui habite dans la maison et qui veille sur les maisons et les mosquées. Tawkilt, sur laquelle nous avons déjà fait un article, fait donc partie de la catégorie des iɛessasen.

Le rôle de ces gardiens ne se résume pas à veiller sur les maisons. Ils sont absolument partout ! On ne saurait poser le doigt sans en rencontrer un, car nous vivons entourés de légions, nteddu gar ṣṣfuf.

Il y a un aɛessas également pour chaque source, qu’on appelle aɛessas n tala. Ce gardien peut se manifester sous la forme d’une tortue terrestre ou d’une tortue d’eau douce qui nage dans la fontaine. Si l’on sacrifie une bête près de la source, on prendra soin de donner un peu de viande aux tortues d’eau douce. On accorde volontiers des pouvoirs de guérison à l’eau de la fontaine, qui est utilisée dans de nombreux rituels de purification, et dans la toilette de la jeune mariée.

Les assemblées de village, tajmaɛt, ont également leur iεessasen. Henri Genevois, en parlant de l’assemblé de Taguemount Azzouz, précise que « son aɛessas, constitué d’une pierre, est toujours là, gardien vigilant et puissant. N’a-t-il pas frappé de malédiction le bey Mohamed qui, au mépris de la politesse séculaire des montagnes, voulut traverser le lieu de réunion à cheval. »

Il est un gardien pour chaque source, chaque village, chaque tribu, chaque rocher.

C’est par crainte du gardien des champs, aɛessas n lexla, qu’on se garde de pousser les limites de nos terres, et qu’on ne porte pas préjudices aux terrains d’autrui.

Craignant leur malédiction, leur ddeɛwessu, on prendra soin a toujours saluer le gardien et à être courtois avec lui. Parmi les nombreuses invocations faites aux iɛessasen, on notera :

Qqim di lehna ay aɛessas ! Amḍerri nneɣ, ḍurr-it, aḥnin nneɣ, ḥunn fell-as ! (Reste en paix, ô gardien !

Venge-nous de nos offenseurs et sois compatissant à ceux qui nous veulent du bien !)

Si le propriétaire du bien est un homme juste, à sa mort, son aɛessas le pleurera jour et nuit, les feuilles des arbres sacrés se courberont de tristesse, et l’herbe de son champ se fanera.

Dans le cas des sanctuaires, tiqerrabin, et des villages de marabouts, le saint qui y a vécu et qui y est enseveli en est le gardien. Dans mon village, un village de marabouts dont le gardien est le saint aïeul qui y possède son mausolée, on raconte qu’un cavalier qui traversa le village à cheval, alors que ses compagnons sont descendus de cheval par respect, fut frappé par la foudre à la sortie du village.

Dans le cas des mosquées, le gardien en est souvent, en plus de tiwkilin, Sidna Jebṛayen, l’archange Gabriel.

Leɣwat, dont j’avais déjà parlé dans un précédente poste, entrent également dans la catégorie des iεessasen.

Tous ces gardiens sont à rapprocher des Lares, des dieux familiaux et des génies domestiques de l’Antiquité.

Bibliographie

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *