Les Illulen Usamar, nommés en français Illoula Ouçammeur, forment une tribu non confédérée de la vallée de la Soummam, sur les flancs est du Djurdjura. Ils sont nommés Illulen Usamar, c’est-à-dire les Illoula du flanc ensoleillé, pour les distinguer d’une autre tribu située sur le flanc opposé de la montagne, qui prend le nom d’Illulen Umalu.
Ils sont voisins des At Mlikec et des Uzellagen, des Illilten, Illulen Umalu et des At Ziki, dont ils sont séparés par la crête inhabitée du Djurdjura, des At Ɛidel, dont ils sont séparés par la Soummam, et des At Ɛebbas, dont ils sont séparés par l’Oued Sahel.
Le territoire des Illulen Usamar comprend les communes suivantes : Chellata, qu’on appel en kabyle Icellaḍen ; Akbou, et Ighram.
La tribu se composait traditionnellement de deux fractions séparées par le ravin nommé Iɣzer Illulen : Illulen Usamar proprement dit au nord, et Illulen Ugemmaḍ au sud. Nous avons également Iɣil Umsed qui semble former une fraction a part, et que certaines sources attribuent parfois aux Uzellagen, tandis que d’autres sources considèrent le village comme formant une tribu a part, tribu dépendante des Illulen Usamar.
Ils avaient jadis un marché qui se tenait tous les lundis, nommé Letnayen n Illulen. Il se tenait devant un ancien village détruit pendant une guerre civile entre les fractions de la tribu, qui s’appelait Taɣalaḍt, et qui se trouvait du côté de Felden.
Histoire
Ptolémée signale une ville de Maurétanie Sétifienne, qui se trouvait près de l’emplacement de l’actuelle Akbou. Cette ville se nommait Ausum, et était selon Salluste dominée par une citadelle réputé imprenable. Cette citadelle fut attaquée par Marius pendant la guerre de Jugurtha, et fini par tomber entre les mains des romains après un long siège. Si le récit de Salluste est vrai, cela signifie qu’Ausum existe depuis l’époque numide, bien avant la domination romaine d’Afrique.
De nombreuses ruines ont été signalées à l’époque coloniale sur le territoire des Illulen Usamar, dont les plus importants se trouvaient du côté de l’hôpital d’Akbou, sur un plateau appelé aujourd’hui Arafu. C’est très exactement à cet emplacement que se trouvait la cité romaine d’Ausum, qui avait beaucoup souffert des crus d’Iɣzer Illulen (Oued Illoula).
De ces vestiges subsiste un mausolée isolé dans la vallée sur un python rocheux, qu’on appel en kabyle Taɣerfet n Uqbu, et qui est connu sous le nom de Mausolée d’Ausum.
Des vestiges de postes militaires qui servaient à sécuriser le limes romain et la route qui longeait la Soummam parsemait jadis le territorien des Illulen. On en trouve jusqu’à Iɣil Umsed.
La tribu des Illulen Usamar est curieusement absente de l’inventaire fait par Ibn Khaldun des tribus qui composent ce qu’il a appelé les Zouaoua, alors que les Uzellagen et les At Mlikec figurent bien sur cette liste.
On ne trouve pas non plus mention des Illulen durant l’époque ottomane, chose tout à fait normale dans une région qui échappait à l’autorité d’Alger et des Mokrani. Est faite mention par contre de la Zaouïa d’Icellaḍen, Chellata, fondée par Sidi Cherif Moussa Ouali, l’ancêtre des Benali Cherif. Cette zaouïa jouissant d’une grande renommée à l’époque ottomane.
A cette époque, les Illulen Usamar avaient pour ennemis les At Mlikec et les At Ɛidel. La tribu voisine des Uzellagen, trop faible pour se défendre, était sous la protection des Illulen Usamar, vis-à-vis desquels elle était dépendante. Les Illulen avaient ainsi en quelques sortes une tribu vassale. Nous avons également la petite tribu d’Imula, alliée des Illulen, et plus particulièrement des Benali Cherif. L’alliance avec les Imula se manifestait surtout lors des conflits contre les At Ɛidel.
La principale ressource des Illulen était la production de céréales et d’huile d’olive, ainsi la fabrication des plats et d’assiettes en bois.
Pendant les guerres civiles entre les villages des Illulen Usamar, des contingents des At Mlikec étaient appelés en renfort. Les At Mlikec étaient eux même divisés en deux fractions, chacune de ses deux fractions soutenaient une des fractions des Illulen Usamar, et trouvaient dans les guerres que se faisaient les Illulen entre eux une occasion pour régler leurs différends par les armes.
Les alentours des Illulen était réputés dangereux, notamment, dans la Soummam, à cause de brigands arabes ou des At Mlikec, et dans le Djurdjura, à cause d’une confrérie de brigands nommée Ṭṭelba Udebbuz, ou Ṭṭelba n Sidi Wedris, qui dépouillaient les voyageurs.
En mai 1847 (du 12 au 23 mai 1847), une expédition militaire fut menée par les le maréchal Bugeaud pour explorer la Soummam. C’est au cours de cette expédition, à laquelle les Illulen Usamar ne s’opposèrent pas, que Si Mohamed Saïd Benali Cherif fut nommé Bachagha de l’Oued Sahel. Il s’agissait d’un marabout de Chellata, très influent dans la Soummam, auquel obéissait la tribu des Illulen.
Le 19 mars 1851, Lazib Benali Cherif fut attaqué par Bou Baghla. Le Bachagha Benali Cherif fut défendu par les habitants de Tifrit, chez lesquels il se réfugia, avant de partir se réfugier chez les Aït Abbas, puis au Bordj de Beni Mansour, sous la protection du colonel Beauprêtre.
Les contingents kabyles de Bou Baghla, qui venaient de vaincre les Illulen Usamar, offrirent leɛnaya, leur protection, à la zaouïa de Chellata, pour que celle-ci ne soit pas attaquée. Bou Baghla, qui s’appuyait sur un certain Belkacem ou Aïssa, un des chefs des Illulen hostile aux Benali Cherif, commença à traiter avec les notables des Illulen pour les rallier à sa cause, tout en rassemblant ses soutiens au village d’Iɛeggacen (Ayacha), chez les At Mlikec, en vu de s’emparer d’Icellaḍen, dernier fief des Benali Cherif que ses contingents kabyles avaient épargner.
Le 24 mars, Bou Baghla établi son camp du coté de Tizi n Slib, en vu d’attaquer Chellata. Lalla Aïcha, la mère du Bachagha Mohamed Saïd, une maraboute très respectée chez les Illulen, essaya de négocier avec Bou Baghla. Bou Baghla menaça d’incendié le village s’il ne se soumet pas et que le Bachagha ne vienne pas se rendre.
Bou Baghla venait de violé leɛnaya que les contingents kabyles avaient offert à Icellaḍen. Lalla Aïcha réussi à regrouper autour d’elle les Illulen, ainsi que des contingents d’autres tribus kabyles, notamment les Illilten, et attaqua le camp de Bou Baghla, qui fut vaincu et obligé de s’en fuir. Le chef des Aït Idjer, nommé Si El Hadj El Mouloud, fut fait prisonnier par les Illulen durant cette attaque.
Le 1er mai 1851, Bou Baghla se réfugie chez les Aït Aïdel, sous la protection des marabouts de Tamokra. Il réussi à soulever ses derniers, et avec eux presque l’intégralité de la Soummam. Le 5 mai, la tribu des Imula est attaquée par les fidèles de Bou Baghla.
A noter que Bou Baghla avait une femme des Illulen Usamar, ce qui signifie que qu’il avait encore des soutiens parmi les Illulen, ce qui expliquerait peut-être pourquoi les Illulen n’ont pas été attaqué malgré que tous leurs voisins leur étaient hostiles.
Le général Camou lança une expédition contre Bou Baghla et réussi à pacifier une bonne partie de la Soummam. Le 25 juin, les Uzellagen subirent une lourde défaite alors que Bou Baghla se trouvait personnellement sur leur territoire, les troupes françaises leur brûlèrent un grand nombre de villages ainsi que deux villages des Aït Aïdel.
Le 1er juillet, Benali Cherif organisa une réunion à Akbou avec le général Camou, et les notables des Illulen Usamar, des Aït Aïdel, des Ouzellaguen et des Aït Ouaghlis. Ils s’entendirent sur un cesser le feu, a ne plus combattre du côté de Bou Baghla, et sur une alliance défensive pour garantir la paix dans la région.
En vertu de cette alliance, les Aït Aïdel envoyèrent des fantassins défendre les Illulen Usamar lorsqu’ils furent attaqués le 22 juillet 1852 par Bou Baghla. Ce ne sera d’ailleurs pas la seule fois où les Illulen durent subirent les attaques de Bou Baghla, la tribu était souvent prise pour cible. Les attaques les plus importantes eurent lieu le 11 juin et le 29 juillet.
En 1855, on fit construire une enceinte fortifié, nommé Bordj Akbou, ou Bordj Benali Cherif, pour garantir la sécurité de la famille du Bachagha.
Le 26 juin 1857, au lendemain du combat d’Icerriḍen, les troupes du général Maissiat vinrent camper à Akbou, pour attaquer le lendemain le Col de Chellata, passage obligé entre la Soummam et la Grande Kabylie, appelé en kabyle « Tizi n Tgiǧut » ou « Tizi n Lejba », et où de nombreux kabyles se sont réunis pour bloquer le passage aux français.
Le 30 mars 1871, à l’emplacement même de l’actuelle Seddouk, chez les Aït Aïdel, ennemis traditionnels des Illulen Usamar, est créé un marché libre nommé Ssuq n Imsisen, le marché de Mcisna. C’est dans ce marché que le 8 avril de la même année, Cheikh Aheddad prêche la guerre sainte, ce qui a pour effet de soulever à la fois les Aït Aïdel et les adeptes de la Rahmania.
La première tribu à être attaquée est d’ailleurs une fidèle alliée des Illulen Usamar. Il s’agit des Imula, qui fut attaquée le 15 avril, et dont les villages furent incendiés.
Le 8 avril, le frère du Bachagha Mokrani, Si El Hadj Bouzid El Mokrani, se rend chez les Illulen Usamar, suivie par des cavaliers, pour rencontrer les notables de la tribu, à qui il remit une lettre du Bachagha Mokrani. Les émissaires de Mokrani furent mal accueillis par les Illulen Usamar, qui étaient à ce moment là encore partisans de Benali Cherif.
Le 11 avril, Akbou est cernée par les insurgés, qui se contentent d’encercler le Bordj sans engager de combat. Le lendemain, 12 avril, une fraction des Illulen Usamar hostile aux Benali Cherif rejoint l’insurrection. Le 14 avril, El Aziz, le fils de Cheikh Aheddad, envoya un ultimatum aux Benali Cherif, leur demandant de se joindre à l’insurrection, sans quoi les Illulen Usamar seront pris pour cible.
Le 15 avril, nous l’avons dit, face au refus de Si Cherif Ameziane El Mihoub de rejoindre l’insurrection, sa tribu, les Imula, fut prise pour cible et ses villages furent incendiés.
Le 16 avril, ce sont les Illulen Usamar qui adressent un ultimatum à leur bachagha, lui signifiant qu’il a trois jours pour se joindre à l’insurrection, sans quoi il subira le même sort que Si Cherif Ameziane.
Le 20 avril, Mokrani envoya une nouvelle lettre aux Illulen Usamar, désavouant Benali Cherif.
Après des négociations entre les fractions fidèles et hostiles aux Benali Cherif, les notables des Illulen Usamar autorisèrent le bachagha à se réfugier chez Ali Oukaci, à Tizi Ouzou, à condition que sa famille reste comme otage à Akbou et Chellata, pour s’assurer qu’il n’aille pas rejoindre les Français. Le 24 avril, on ouvrit aux Benali Cherif un passage pour rejoindre Icellaḍen. De là, Si Mohammed Saïd, accompagné de son plus jeune fils et cinq serviteurs, parti à cheval et arriva le soir même au camp d’Ali Oukaci, à Tizi Ouzou.
A ce moment-là, les Français avaient déjà évacué la Soummam et étaient assiégés derrière les murailles de Bougie. Les contingents des Illulen Usamar étaient alors sous le commandant des deux fils du Cheikh Aheddad, El Aziz et Si Mehmed.
Le 2 juillet 1871, Si Mehmed est fait prisonnier, il a été trahi par un proche du nom de Saïd Uraba qui le livra aux Français. Aussitôt, de nombreuses tribus qui étaient sous son autorité se rendirent à Bougie pour offrir leur soumission. Parmi elles figurent les Illulen Usamar, qui demandèrent l’Aman le 8 juillet 1871.
Mohamed Saïd Benali Cherif, accusé d’avoir participé à la révolte aux côtés d’Oukaci, sera condamné en 1872 à 5 ans de prison, mais il fut aussitôt gracié. Ses biens sont séquestrés, mais lui seront restitués par la suite.
Pour leur participation à l’insurrection, les Illulen Usamar doivent verser 399.323,30 F de tribut de guerre et céder 2.150 hectares, qui sont expropriées par l’administration coloniale. En 1872, le Gouverneur Général de l’Algérie, le vice-amiral De Gueydon, décide de crée un village de colonisation à côté du Bordj Benali Cherif. Ce village prend le nom de Metz, et deviendra plus tard la ville d’Akbou.
Sur le plan phonétique, les Illulen Usamar ont tous le même accent, qui est assez particulier. Là où les kabyles de Tizi Ouzou disent tabbʷurt, yebbʷi-d, yebbʷeḍ, et ceux de Kabylie orientale disent tawwurt, yewwi-d yewweḍ, les Illulen disent taggʷurt, yeggʷi-d, yeggʷeḍ. Ils disent cwiṭ ggʷaman, au lieu de cwiṭ n waman ou cwiṭ bbʷaman. Ils disent wagi, aggur, tous comme la Kabylie occidentale, et disent ur yeẓri wara au lieu de ur yeẓr’ ara. Cet accent se rencontre également chez les Uzellagen, les At Ɛebbas et une petite partie des At Mlikec.
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