Amrabed

La Kabylie après le débarquement français à Sidi Fredj (juin 1830) : Suite

Suite de l’article précédent, arrivée des Kabyles à Alger, capitulation d’Alger et le retour des Kabyles en Kabylie.

A Alger, Hussein Pacha, venu au-devant des Kabyles au pont d’Oued El Harrach, leur promit des armes, des munitions, des vivres. Il fit distribuer des fusils, promis de payer tout chrétien qu’on lui amènerait mort ou vivant, selon Ahmed Khoudja. Hussein Pacha avait remis la somme nécessaire pour rétribuer les Kabyles 500ff la tête d’un Français apportée, mais son gendre Brahim Agha [il faudra un article pour parler de ce personnage], au lieu de payer comptant, renvoya les soldats en leur disant de se présenter après la bataille.

Les Kabyles se trouvaient les seuls à combattre à côté des habitants de la Mitidja « qui ne connaissaient autre chose que vendre du lait » [selon les dires de Hamdane Khoudja]. Ils ne recevaient pour eux et leurs chevaux ni munitions ni vivres et comme ils ne trouvaient pas même le moyen d’en acheter de leurs propres deniers ils s’en allaient. Apparemment, seuls des fusils firent remis aux Kabyles, selon le témoignage d’un chaouch [gendarme]. Quand les Kabyles apprirent l’entrée des Français dans Alger :

« Il s’empressèrent de piller et de saccager toutes nos maisons de campagnes », écrivait Hamdane Khoudja, « afin que les Français ne profitassent pas à leur détriment, ils ont pris tout ce qu’il avait de prenable, bestiaux, chevaux, mulet, mis le feu au grenier, cassé les jarres d’huile, enlevé tout ce qu’ils pouvaient emporter pour ne rien laisser aux Français ».

Les Kabyles qui eurent la chance de survivre retournèrent chez eux mieux lotis, si l’on croit Hamdane Khoudja, en tout cas certains plus armés qu’ils ne l’étaient en partant. Le nombre excessif de mort que souligne le poète en comparant leur chute à celle des étourneaux, marqua les familles et réduisit la force des hommes de nombreux villages. Bien des familles et des lignages se trouvèrent fragilisés, déclassés par ces pertes. Une fois de retour chez eux, les Kabyles qui étaient insoumis aux Turcs, comme presque tous le Djurdjura, durent continuer à vivre comme auparavant, s’administrer par eux-mêmes. Ceux qui étaient sous l’autorité turque, c’est-à-dire tous les villages qui bordent d’est en ouest la plaine du Sebaou, entrèrent dans un cercle de guerre dont seuls quelques individus tirèrent les ficelles. Ceux que cite Robin tels les Ben Zemoun, les Bel Kessam, le premiers pour le Hat Sebaou, le second pour le bas Sebaou, auxquels il faut ajouter Si al Djoudi pour le Djurdjura, semblent être les trois hommes qui sortirent dominants des conflits guerriers qui ont duré de 1830 à 1838, date de la venue de l’Emir Abdelkader en Kabylie, qui les consacra comme responsables respectifs des régions qu’ils avaient déjà soumises.

Les élites savantes, scripturaires et de bonne extraction semblèrent rester en dehors des enjeux militaires, des intrigues, des assassinats et des guet-apens qu’engendrent cette guerre des chérifs. Les zaouïas, quant à elles, ont dû être prises dans le tourbillon des pressions, des curiosités et des impatiences que durent naître les guerres locales et l’affrontement futur avec les Français qui tardent à arriver. Une multitude de chérifs, chétifs, s’annoncent tous les jours comme des mahdi (prophètes) jeunes, imberbes, cavaliers, comme Bou Sif, Bou Baghla, Bou Maaza, Lalla Fadhma n Soumer, dont la chance de survie ne dépasse pas quelques mois.

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Hamdane Khoudja. Le miroir. Paris : Sindbad, 1988.

Robin, Nil. Notes historiques sur la Grande Kabylie 1830-1838. Revue Africaine. 1876. Alger (réédition) : OPU, 1984.

Chachoua, Kamel. L’islam kabyle : Religion, état et société en Algérie. Paris : Maisonneuve & Larose, 2001.

2 réflexions sur “La Kabylie après le débarquement français à Sidi Fredj (juin 1830) : Suite”

  1. Vous n’êtes pas objectifs, vous oubliez de parler de l’administration indirecte du général bugeaud en kabylie, la même administration qui a été refusé à l’émir abdelkader
    Par contre ce qu’il faut savoir selon les écrits français c’est: “Au cour les premières décennies de la présence colonial française dans les territoires
    de l’Algérie du nord, les tribus berbères de la Grande Kabylie n’avaient pas adopté à l’égard des militaires français une position univoque. Ces tribus n’étant pas fédérées sous l’autorité d’un seul chef et par conséquent elles ne répondaient pas de façon homogène aux divers appels à la résistance qui avaient été lancés d’abord par le Dey d’Alger et ensuite par l’Emir Abd el-Kader. Des siècles d’autogouvernement et d’autonomie politique avaient rendu la plupart des tribus kabyles méfiantes à l’égard de la Régence d’Alger ainsi que de ses voisins algériens.
    Au cours de la période allant de la conquête de la Régence d’Alger (1830) jusqu’en
    1857, les tribus kabyles de la Grande Kabylie avaient réussi à se maintenir politiquement autonomes à l’égard de la France. Mais bien qu’autonomes sur le plan politique, ces tribus entretenaient des rapports commerciaux avec les territoires algériens limitrophes qui étaient passés sous le contrôle français. En effet plusieurs commerçants kabyles y pratiquaient le colportage de marchandises.
    Cela donna lieu à une décennie de guerre entre Abd-el- Kader et l’armée française, guerre qui prit fin précisément le 24 décembre 1847, date de la capitulation de l’Emir. Durant ce long conflit, l’Emir Abd-el-Kader chercha à rallier les tribus kabyles à sa cause. La stratégie de ce dernier consistait en la mise en place d’une administration indirecte agissant en son nom au sein des tribus kabyles qui lui étaient
    le plus favorables. En termes concrets, l’Emir voulait s’appuyer sur la collaboration
    de chefs kabyles (khalifas) qui faisaient exécuter ses directives en Kabylie. Dans un premier temps, en 1835, Abd-el-Kader octroya le titre de khalife à El-Hadj Ali Ben Sidi Sadi 322 . En 1838 ce même titre sera donné à Si Ahmed Tayeb Ben Salem 323 .
    Cette politique n’ayant pas porté aux succès espéré, Abd-el-Kader choisit par la suite d’investir trois chefs aghas, Hadj Mohammed Ben Zemmoun, El-Ou-Kassi et Si ElDjoudi, mais ces derniers ne réussirent pas à rallier l’ensemble des tribus kabyles à la cause de l’Emir
    Le général Bugeaud montra lui aussi sa contrariété à toute intervention directe de
    l’armée française dans les affaires kabyles. Bugeaud aurait, dans un discours présenté à l’assemblée, décrit les populations kabyles dans les termes suivants :
    « Les populations de la Kabylie ne sont ni envahissantes, ni hostiles ; elles se défendent vigoureusement quand on va chez elle, mais elles n’attaquent pas 328 ».
    Les militaires français firent le choix dans un premier temps de ne pas administrer de
    façon directe le territoire de la Grande Kabylie, mais plutôt de s’appuyer sur la
    collaboration de tribus kabyles complaisantes. Celles-ci auraient été chargées de la mission de faire exécuter les décisions des militaires français. Cette stratégie fut
    menée entre 1842 et 1854. Bugeaud choisit d’investir des personnalités kabyles qui jouissaient d’une certaine autorité au sein de leurs tribus respectives
    La stratégie de l’administration indirecte fut mise de côté à partir de 1854 par le général Randon. Ce dernier fit le choix d’opter pour une action militaire, en l’occurrence pour une attaque frontale qui visait à obtenir la soumission formelle des tribus kabyles à l’autorité des cercles militaires français. Napoléon III se montra d’abord réticent à l’égard de toute idée de conquête totale du territoire kabyle, cependant Randon réussit à convaincre l’Empereur de la nécessité de l’accomplissement d’une telle opération. Par conséquent, à partir de 1854 fut lancée une opération militaire extrêmement sanglante à l’encontre des tribus insoumises des territoires internes du massif du Djurdjura 332 . Cette guerre prit fin en juillet 1857, notamment avec la capitulation des Aith-Raten”

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