Contenu de la lettre envoyée par l’Agha Brahim, gendre du Dey Hussein, aux Aït Iraten, et préparatifs pour la guerre sainte contre les français.
« Salut sur tous les Kabyles et sur tous leurs notables et leurs marabouts. Sachez que les Français ont formé le dessein de débarquer et de s’emparer de la capitale de l’Algérie [dans le texte original, il devait plutôt parler du royaume d’Alger]. Vous êtes renommés pour votre courage et votre dévouement à l’Islam. Le gouvernement turc vous appelle à la guerre sainte … A l’instar de vos ancêtres qui ont combattu dans la première guerre sainte [il s’agit du siège d’Alger par Charles Quint en 1541] … La guerre sainte est un devoir que nous impose la religion lorsque l’infidèle est sur notre territoire » Robin écrivait : « Lorsque ces lettres parvinrent aux Kabyles il y eu de grandes assemblées des tribus pour répondre à l’appel du Dey ».
Pour unir et réunir une force qui serait à la hauteur du danger, les marabouts et les notables locaux se trouvèrent devant la nécessité d’apaiser les guerres entre tribus, donc d’exercer leur pouvoir d’intercession. Ils menacèrent toutes les tribus qui se refusaient à faire la paix immédiatement, d’attaquer et d’incendier. Par ce moyen, la paix a vite régné sur toutes les tribus. Pour s’assurer de cette paix, les marabouts représentant les grandes tribus décidèrent d’un commun accord de rédiger de nouveaux qanun et d’ajouter des articles neufs au registre ancien : il fut décidé que tout individu qui exerçait une vengeance sera lapidé, ruiné, brûlé, que les vols qui se commettraient sur les biens des hommes partis à Alger seraient punis de mort. Il y eut une suspension de la législation locale coutumière et un durcissement des nouveaux règlements.
L’appel à la guerre sainte fut le moment de la radicalisation du fanatisme des notables marabouts. On créa immédiatement le nouveau statut d’imsebbel (qui se sacrifie volontairement), on ouvrit la liste des participants, on codifia les conditions d’enrôlement, on précisa la fonction, on s’engagea à assumer les conséquences qui suivraient. Ensuite, les hommes qui ne pouvaient pas partir, qui ne remplissaient pas les conditions requises et qui ne comptaient pas de membres participants, contribuèrent en argent. Les chefs de familles engagés comme imsebblen rédigèrent leur testament, exprimèrent leurs dernières volontés, firent le compte de leurs créances et de leurs dettes, réglèrent leur succession, constituèrent leurs ḥabus. Ils savaient qu’ils avaient rendez-vous avec la mort, et au dernier moment, les marabouts firent une prière appelée la prière des morts devant leurs imsebblen au garde-à-vous.
Rendez-vous fut pris pour toutes les tribus à des points différents de la plaine, Sikh Oumedou pour les tribus du Haut Sebaou, celles du Bas Sebaou à Azib Zawnoum [ce serait plutôt Azib Zamoum], celles du Djurdjura à Djemaâ des Isser. Au jour dit, tous se rassemblèrent au lieu indiqué, suivis des épouses, des mères, des pères, des grands-pères et enfants venus soutenir les leurs jusqu’au dernier moment. Mais dans ce grand rassemblement, les tribus, les villages et les sofs tiennent à se distinguer, chaque village a à sa tête son marabout qui porte le drapeau de sa zaouïa, et le jour du combat, ces drapeaux sont plantés sur la ligne de bataille pour servir de point de ralliement. Les tribus se rassemblent derrière les marabouts, les marabouts locaux derrières leurs cheikhs, les cheikhs derrière leur zaouïa. On voit à travers l’organisation des phalanges kabyles décrites par Robin la présence de toutes les zaouïas, celle de cheikh Arab pour les Aït Iraten, celle de Sidi Mansour pour les At Jennad, Tifrit n At El Hadj et Sidi Hend Oumalek pour les At Ghobri, Tifrit n At Oumalek pour pour les Aït Ijer, Sidi Oudris pour les Illoulen, les Maâtqa et Aït Aïssa derrière la zaouïa de Sidi Ali Oumoussa, les Guechtoula avec leur muqaddem derrière la zaouïa de Sidi M’hemed Bu-Qebrin, fondateur de l’ordre rahmanite, tronc commun de toutes les zaouïas. Robin évalue le nombre des kabyles partis au combat a 25 000 « celui du Bey de Constantine, Titteri et d’Oran réunis n’ont pas amené plus de 2000 hommes ».
_____________
- Robin, Nil. Notes historiques sur la Grande Kabylie 1830-1838. Revue Africaine. 1876. Alger (réédition) : OPU, 1984.
- Chachoua, Kamel. L’islam kabyle : Religion, état et société en Algérie. Paris : Maisonneuve & Larose, 2001.
- Hamdane Khoudja. Le miroir. Paris : Sindbad, 1988.
Ping : La Kabylie après le débarquement français à Sidi Fredj (juin 1830) : Suite - Amrabed