Nous avons à déterminer maintenant les limites géographiques de l’Afrique romaine, là où elle n’a pas la mer comme limite naturelle, c’est-à-dire à l’Est et au Sud. A l’Est, l’Afrique romaine s’arrêtait au désert de sable qui sépare la Tripolitaine de la Cyrénaïque, à l’Est de ce désert, appartenait, comme l’Egypte, à l’Orient. Au Sud, la frontière, naturellement, n’est pas restée immuable : elle s’est portée plus avant vers l’intérieur à mesure que la romanisation du pays progressait. Il y a lieu d’indiquer ce qu’elle était au début de la période considérée, sous les premiers empereurs, et à la fin de la même période, sous les Antonins et les Sévères. Nous sommes arrivées, sur ce point, à une précision assez grande, et nous pouvons espérer que dans quelques temps, après une période suffisante de recherches et de découvertes, nous serons en état de reconstituer très minutieusement le tracé des frontières romaines successives, grâce aux documents archéologiques. Ces documents sont relativement abondants parce que les Romains aimaient à tracer, de façon matérielle, la frontière, le limes. Dans l’existence d’une frontière matérielle, ils voyaient à la fois un symbole, une sécurité militaire, et une commodité pour la perception des douanes. Lorsque c’est possible, ils utilisaient, à cet effet, un cours d’eau : l’Ems, le Rhin, le Danube formaient ainsi des parties de la frontière entre Rome et la Germanie ; dans les intervalles, cette frontière était constituée par un limes proprement dit, un rempart muni, de place en place, de fortins. Ils ont procédé de même en Afrique. Leur première province, celle qu’ils annexèrent en 146, était séparée du pays numide par un fossé continu, qu’avait creusé Scipion, et qui fut, plus tard, sous les empereurs, alors qu’il n’avait plus qu’une valeur de document historique, remplacé par une levée de terre. L’Oued El Kebir et une suite de vallées secondaires d’une part, la Moulouya d’autre part, servaient de frontières intérieures entre les provinces, après avoir marqué les bornes des royaumes indigènes. Vers le Sud, aucun cours d’eau ne pouvait être utilisé ainsi : les Romains eurent, de ce côté-là, un limes artificiel, sans s’astreindre d’ailleurs à créer un obstacle continu, fossé ou mur : à tous les passages et à tous les points stratégiques, ils eurent un fort, et des tronçons plus ou moins étendus de mur ou de fossé, là où le terrain le demandait. Ce sont les témoins de ces travaux qui nous permettent de dire jusqu’où allait la domination romaine.
Sous les premiers empereurs, sur la côte Sud de la Petite Syrte, c’est-à-dire ce qui correspond à la Tripolitaine moderne, les Romains n’occupent que les quelques ports où se concentre la vie e la contrée. Le pays non romain commence très près de ces ports, au-delà d’une étroite banlieue.
Jusqu’à Gabès, le territoire romain ne s’écarte guère de la mer. A l’Ouest de Gabès, le cadastre romain et la colonisation se sont arrêtés au bord septentrional du Chott El Fedjedj. Ensuite, la frontière allait du Sud au Nord, jalonnée par Gafsa, Feriana, Tébessa. A partir de Tébessa, elle suivait une direction générale Sud-est-nord-ouest, se maintenant au Nord de l’Aurès, du Djebel Touggourt, des monts du Hodna : Khenchla, Timgad, Lambèse [Tazoult], Zana [w. Batna], Zraria [Ce serais plutôt Zraia dans la wilaya de Sétif], Aumale [Sour El Ghozlane], Sour-Djouab, Berrouaghia, marquent les points importants de cette frontière, soit qu’ils aient été occupés et fortifiés dès les premiers empereurs, soit qu’il aient été organisés seulement par les antonins.
On atteint ainsi la vallée du Chélif, vers l’endroit où le fleuve, après avoir traversé péniblement l’Atlas Tellien, entre en plaine et prend la direction générale Est-Ouest. Miliana, Duperré [Aïn Defla], Orléans-Ville [Chlef], dans cette vallée, sont des emplacements de colonies ou de garnisons romaines qui défendaient la frontière. Plus à l’Ouest, elle passait approximativement à Relizane, Perrégaux [Mohammadia, w. Mascara], Saint-Denis-du-Sig [Sig, w. Mascara], se rapprochant progressivement de la mer, coupant tout près de l’embouchure le cours de la Moulouya ; le territoire soumis se terminait en pointe, au-delà de ce fleuve, au comptoir phénicien de Rusaddir, déchu à l’époque impériale, et qui est aujourd’hui Melilla. Le pays romain ne reparaissait ensuite qu’au détroit de Gibraltar et sur la côte atlantique du Maroc : à partir de Tanger, et jusqu’à Sala (Salé), une série de ville s’échelonnaient sur la côte, et deux ou trois avaient été fondées assez avant dans l’intérieur, dans la vallée des principaux cours d’eau.
La physionomie d’ensemble de l’Afrique romaine, au début de l’Empire, est ainsi très nette : une masse importante de terrain, correspondant sensiblement à la Tunisie, prolongée à l’Est par le cordon mince des ports tripolitains, à l’Ouest par une sorte de grand coin qui va s’amincissant progressivement, et dont l’extrémité est à Melilla ; puis, sans communications terrestres avec ce qui précède, un groupe de comptoirs et de colonies sur le versant atlantique du Maroc.
Cette disposition générale est restée la même pendant toute la période romaine. L’Afrique romaine a toujours eu la forme d’un coin allongé de l’Est à l’Ouest, beaucoup plus large à l’Est, en Tunisie, qu’a l’Ouest ; la frange de terre romaine qui occupait la bordure du continent africain est toujours allée en s’amincissant, des Syrtes [Tripolitaine] vers l’Atlantique. Mais les empereurs, à mesure que le pays devenait plus peuplé, plus cultivé, sentirent le besoin d’élargir vers le Sud la zone soumise a leur autorité, de s’imposer comme maître aux nomades du Sud, ou tout au moins de les surveiller de près et de les contenir. C’est à la fin du IIe siècle et au début du IIIe que s’est dessiné le plus nettement ce mouvement d’expansion vers le Sud, commencé vers le début du IIe siècle, et, en 238, le limes romain est sensiblement plus méridional que celui vient d’être décrit.
A cette date, en Tripolitaine, les postes romains se trouvent installés un peu au Sud de la falaise qui, à distance variable de la mer, sépare très nettement la plaine littorale, habitable, appelée Djeffara, de la région désertique : ces fortins dessinent une ligne assez serrée. En outre, des postes avancés sont créés, sous forme de garnisons permanentes, installées dans les oasis : à Bondjem, à Gharia El Gharbia, à Ghadamès. Et les commerçants romains sont allés jusqu’au Fezzan.
Plus à l’Ouest, le territoire romain comprend maintenant le bord Sud du Chott El Fedjedj et les Oasis (Nefta, Tozeur) situées sur la langue de terre le Chott El Djerid et le Chott El Gharsa. Puis la frontière suit comme autrefois la direction Sud-est/Nord-ouest, mais elle englobe, depuis Trajan, l’Aurès, et les garnisons romaines sont installées maintenant dans les oasis, à la limite du Sahara : à Négrine [w. Tébessa], Badis, Mlili [w. Biskra], Doussen [w. Ouled Djellal]. Elle se dirige de là vers Bou-Saâda et Boghar. A partir de Boghar [w. Médéa], la frontière romaine est suivie par une route stratégique qui passe en avant de Theniet El Had [w. Tissemsilt] et de Tiaret, puis par Frenda [w. Tiaret], Tagremaret [Takhemaret, w. Tiaret], le Nord de Saïda, Chanzy [Sidi Ali Benyoub, w. Sidi Bel Abbès], Lamoricière [Ouled Mimoun, w. Tlemcen], Tlemcen, Lalla Marnia [Maghnia, w. Tlemcen] : elle suit donc à peut près, dans l’ensemble, la lisère Nord des Hauts-Plateaux. Cette route fit organisée probablement au début du IIIe siècle.
Comme en Tripolitaine, des garnisons permanentes occupèrent des postes de surveillance en avant de ce limes : la principale était à Messad [w. Djelfa], dans les monts des Ouled Naïl.
Au Maroc, enfin, l’occupation romaine, du Ier au IIIe siècle, devint plus dense et plus cohérente, et sur la côte et dans l’intérieur. Tanger, Rabat et Fès sont les trois sommets d’un triangle sur les côtés duquel étaient disposées des garnisons. Un poste avancé, vers le Sud, a peut-être été établi à Azemmour, et il est probable qu’une route a relié, à cette époque, Fès à la région de Tlemcen par Taza et Oujda, établissant ainsi, entre toutes les parties de l’Afrique du Nord, la communication terrestre qui ne put jamais, à cause de l’impénétrabilité du Rif, être assurée en longeant la Méditerranée.
Il y a donc eu, au cours des deux siècles qui nous occupent, progrès très sensible de l’autorité romaine, et ce progrès n’a pas manqué de méthode. Mais deux choses sont à noter : d’a bord la persistance, à l’intérieur du pays romain, d’îlots réfractaires à la romanisation, massifs montagneux où les Berbères restent pratiquement indépendants, ou peu s’en faut ; ensuite, une timidité excessive dans l’application de la méthode dont les Romains avaient reconnu l’opportunité. Si, en Tripolitaine et surtout en Tunisie, ils ont occupé tout ce qui valait la peine d’entre mis en culture et se sont assuré, vers le Sid, une protection suffisante, plus à l’Ouest, en Algérien ils n’ont pas pénétré assez profondément. Ils se sont presque complètement abstenus de toucher aux Hauts-Plateaux du Sud Algérois et du Sud Oranais. A plus forte raison n’ont-ils pas songé à la conquête du Sahara, bien que quelques traces de leur commerce y aient été découvertes en ces dernières années. Ça a été la principale faiblesse de leur empire africain, et c’est la raison pour laquelle il a été incapable de résister longuement à une attaque sérieuse.
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Albertini, Eugène. L’Afrique romaine. Alger: Fontana, 1937. pp. 9-13.
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