Amrabed

Lingua Franca

En 1665, le chevalier Laurent d’Arvieux est reçu par le dey de Tunis avec les termes suivants : Ben venuto, como estar ? Bono, forte ? Gramercy (Bienvenu, comment allez-vous ? Bien, fort ? Grand merci). Il raconta plus tard que la conversation commença avec un italien corrompu qu’on appelle « langue franque ».

Le cas du chevalier d’Arvieux n’est pas isolé. De la fin du moyen-âge au 19eme siècle, des dizaines de textes attestent l’utilisation de cette « langue franque » ou « lingua franca », en Méditerranée.

Elle est décrite pour la première fois en 1690 par Furetière, dans son Dictionnaire universel. Il s’agit selon lui d’un jargon qu’on parle en Méditerranée, et qui est composé de français, d’italien, d’espagnol et d’autres langues, et que comprennent les matelots et les marchands de toutes les nations.

Cette langue, connue également sous l’appellation « Petit mauresque », était d’usage principalement dans les ports, les tavernes, les lieux de négoce, utilisée par les marins, les marchands, les esclaves, mais ce fut également une langue diplomatique grâce à laquelle on pouvait négocier sans avoir recours à un interprète.

Voici un exemple de lingua franca, inclut dans la comédie de Molière « Le Bourgeois gentilhomme » :

Se ti sabir (Si toi savoir)

Ti respondir (Toi répondre)

Se non sabir (Si  pas savoir)

Tazir, tazir (Se taire, se taire)

Mi star Mufti (Moi être Mufti)

Ti qui star ti? (Toi qui être toi)

Non intendir (Ne pas comprendre)

Tazir, tazir (Se taire, se taire)

La lingua franca était d’usage chez le consul anglais d’Alger, où elle servit d’idiome commun aux domestiques italiens et kabyles ; dans le désert de Tripoli, où le Père Antoine Quartier, un chrétien réduit en esclavage, la pratiqua avec de jeunes bédouines ; mais également à Paris, en Arménie, en Suisse, en Grèce, au Liban …

Il s’agissait d’une langue simplifié, sans grammaire et sans conjugaison. Les verbes sont toujours à l’infinitif, et la prononciation y est également simplifiée pour correspondre à tous les accents parlés en Méditerranée. A titre d’exemple, le terme arabe ترجمان, qui signifie interprète, apparait dans la lingua franca sous les formes « trucheman, drogman », et le terme خزانة, qui signifie armoire, apparait sous la forme « casana ».

La base de cette langue apparait comme étant de l’italien influencé par l’espagnol, avec des ajouts français, occitans, portugais, maltais, arabes, et un peut de turc et de grec.

Il y a également quelques termes d’origine maghrébine, comme « meskin », qui signifie pauvre, le terme « maréia », qui signifie miroir, du Dardja « مراية », ou pour dire « le sien », on dit « di ello », qui vient de « ديالو / دياله », et son féminin « di ella », qui vient de « ديالها ».

Le Berbère par contre est rarissime, voir quasi inexistant dans la lingua franca. Le seul exemple de terme Berbère pourrait être « bernus », qui signifie manteau, et qui vient du Berbère « abernus », burnous.

La forme de lingua franca parlée à Alger était plus tournée vers l’espagnol que celle parlée à Tunis, au Liban ou à Chypre.

C’est surtout à Alger et Tunis que cette langue était le plus utilisée. Après la prise d’Alger par les français en 1830, l’usage de la lingua franca à fortement diminuer jusqu’à disparaitre partout en Méditerranée, remplacée par le français et l’italien.

La lingua franca a survécu à Alger jusqu’au début du 20eme siècle, mais était fortement francisée, au point qu’elle ne ressemblait plus qu’à un dialecte altéré du français.

Un dictionnaire de lingua franca a été publié à Marseille en 1830. Un glossaire contenant de l’arabe maghrébin et de lingua franca était distribué aux colons et aux soldats français pour pouvoir communiquer avec les algérois. C’est en lingua franca que les fonctionnaires, commerçant et soldats français communiquaient avec locaux à Alger aux premières années de la colonisation.

On dénote même que vers le début de la décennie 1900, des algériens pensaient parler en français lorsqu’ils conversaient en lingua franca avec les Français, qui à leur tour pensaient parler en arabe lorsqu’ils répondaient également en lingua franca aux algériens.

Aujourd’hui, le terme lingua franca est utilisé en Anglais pour désigner les sabirs et les créoles, ces langues ponts qui permettent à des gents parlants des langues différentes de se comprendre, comme il en existe encore aux Caraïbes et dans l’Océan Indien.


Bibliographie 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *