Amrabed

Poème de Youcef ou Kaci sur les Aït Yenni

Je pense que je n’ai jamais caché ici l’admiration que j’ai pour les Aït Yenni (qu’il faudrait plutôt orthographier Aït Yanni selon la prononciation locale), cette petite tribu de sept villages dont trois seulement sont considérables, mais avec une si riche histoire, plus puissante tribu des Igawawen, qui a su préserver son indépendance durant toute son histoire et n’a plié le genou qu’après que son territoire ai été dévasté par la plus grande armée jamais levée en Algérie en 1857. Il s’agissait de la plus riche et de la plus industrielle tribu de Kabylie, encore aujourd’hui terre d’artisanats et d’intellectuels, ayant donné le grand Mouloud Mammeri, Brahim Izri et (de manière vraiment subjective) le grand Idir, de loin mon chanteur préféré et sans doute la personne pour laquelle j’ai le plus d’estime.

Il parait que l’aɛidel que je suis n’est pas le seul à être autant fasciné par ces indomptables montagnards ; un ajennad né en 1680, nommé Yousef Ou Kaci (Yusef u-Qasi), resté dans la mémoire collective comme ayant été l’un des plus grands poètes de son temps, et dont quelques poèmes nous sont parvenus grâce au recueil de Mouloud Mammeri (comme par hasard d ayanniw) les prit tellement en estime et fut même en quelque sorte adopté par ces derniers qu’ils n’hésitèrent pas à attaque un village pour laver l’honneur du poète lorsque celui-ci fut maltraité par les habitant d’un village des Aït Ouacif. Je ne vous cache pas que la poésie de ce dernier me fascina autant que la tribu dont il parle, poésie en ancien kabyle (il est toutefois décevant de constater que le kabyle du 18eme siècle était aussi arabisé que l’actuel) difficile à déchiffré si ce n’est la traduction que dda Lmulud en donna.

Toute cette introduction pour présenter Youcef et Aït Yenni, il faut dire que je ne m’attendais pas à une si belle poésie et qui se rapporte à des évènements historique sur lesquels j’avais tant lu, et voilà que je lis dans ma langue le témoignage d’une personne qui les a vécu de son vivant. Bref, j’ai trop parlé pour ne rien dire, voilà la retranscription en tamɛemmrit d’un poème de Youcef Ou Kaci avec sa traduction française, tel qu’il nous a été rapporté par Mouloud Mammeri, qui nous parle de l’attaque de Taourirt El Hadjadj durant la guerre des Aït Ou Belkacem (j’en ai parlé dans la vidéo sur Aït Batroun) :

Poème en kabyle

  • B Llah a ṭṭir ma d win iserrun (1)
  • Ddu deg llyaǧ (2)
  • At Yanni lɛez n tudrin
  • Sellem-iyi ɣef wat wagus meḥraǧ
  • Ass n lexmis mi sen-zzin
  • Yekker Uɛeǧǧaj
  • Yebda lbaṛud n lexzin
  • La yettenṭaj (3)
  • Xemsa u sebɛin i yeɣlin
  • Ɣas ɣef Tawrirt Lḥeǧǧaǧ
  • Ar yiḍ-a mazal-iten din
  • I tembeṭṭaj (4)
  • Ɣef tɛessas i ggaren aɛwin
  • Kulyum d asraǧ
  • Ulac tifrat yiwen ddin
  • Ɣas ma tekna neɣ ad teggaǧ
  • A ṭṭir yufgen iɛella
  • Ifer huzz-it
  • Ḥebsen leǧwad lemḍilla
  • Ḥedd ma nẓer-it
  • Ass-n’ ur yerbiḥ sslam
  • Mi myugen ṭṭrad n twaɣit
  • Tlatin ḥesbeɣ kamla
  • Ssarden semmḍit
  • I yeɣlin deg ṭṭwila (5)
  • Ɣef teqbaylit
  • Kra n win yeṭṭef ḥedd n lɣila
  • Yečča-ten ṭṭrad msakit
  • Ttreɣ-k a Waḥed Lḥennan
  • Llah ur neṭṭis
  • Dɛaɣ-k s ssḥab lɛayan
  • Σli d yirfiqen-is
  • Tgeḍ-aɣ deg lǧennet amkan
  • Jmeɛ akka d-nettḥessis

Traduction du poème selon Mouloud Mammeri

  • Oiseau par Dieu sois matinal
  • Va dès l’aube
  • Chez les Aït Yenni l’honneur des tribus (plutôt des villages)
  • Porte mon salut aux hommes toujours armés
  • Jeudi ils ont encerclé le village
  • Au milieu des nuages de poussière
  • La vieille poudre
  • S’est mise à crépiter
  • Soixante-quinze guerriers sont tombés
  • Pour la seule Taourirt El Hadjadj
  • Ils y sont encore aujourd’hui
  • Au milieu des éclairs des coups de feu
  • Ils prennent des provisions pour la garde
  • Chaque jour harnachent leurs montures
  • Point de quartier une seule issue
  • La soumission ou la ruine
  • Oiseau au haut vol
  • Déploie les ailes
  • Vers les guerriers valeureux enfermés tout le jour
  • Et que nous ne voyons plus
  • Le jour fut funeste
  • Où ils se sont livré un combat désastreux
  • Oiseau au haut vol
  • Déploie les ailes
  • Vers les guerriers valeureux enfermés tout le jour
  • Et que nous ne voyons plus
  • Le jour fut funeste
  • Où ils se sont livré un combat désastreux
  • Oiseau au haut vol
  • Déploie les ailes
  • Vers les guerriers valeureux enfermés tout le jour
  • Et que nous ne voyons plus
  • Le jour fut funeste
  • Où ils se sont livré un combat désastreux

Explication

  1. Sru : en ancien kabyle, être matinal, de bon matin.
  2. Llyaǧ est un terme dont on n’a pas trouvé la signification.
  3. Nṭej doit être une forme archaïque de nṭeg, attaquer, sauter.
  4. Mbeṭṭej, de nṭej, le même mot qui a donné iṭij (soleil), ifeṭṭiwej (flamme), de la racine ṭej (bruler).
  5. Ṭṭwila (les longs en arabe) fait référence aux long fusils kabyles.

Bibiographie

Mammeri Mouloud. Poèmes kabyles anciens : Textes berbères et français. Alger : Hibr Editions, 2019. Pp. 96-99.

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