Les Aït Yenni forment une tribu composée de huit villages, dont le territoire correspond à l’actuelle commune de Béni Yenni, dans la wilaya de Tizi Ouzou.
Ils se font eux-mêmes appelé Iyanniwen, Ayanniw au singulier.
Il s’agit d’une des tribus les mieux connues et les mieux étudiées de Kabylie.
Elle fait partie de l’ancienne grande confédération qu’on appelait Igawawen.
Les Aït Yenni sont voisins des Aït Menguellet à l’est, des Aït Iraten au nord, des Aït Aïssi et Aït Sedka à l’ouest, et des Aït Ouacif au sud.
Ils comptent huit villages : Taourirt El Hadjdj, Taourirt Mimoun, Aït Larba, Aït Lahcen, Agouni Ahmed, Tigzirt, Tansaout, et le village plus récent de Taourirt Issoulas, qui n’apparaît pas dans les sources coloniales.
Ils avaient jadis un marché hebdomadaire, chaque mardi, appelé Ttlata n At Yanni. Il se tenait près de la rivière qui les sépare des Aït Ouacif. Le lieu porte encore aujourd’hui le nom de Ttlata n At Yanni.
La tribu des Aït Yenni était souvent décrite comme la plus riche de Grande Kabylie.
Elle devait sa richesse à ses industries, dont les plus importantes étaient l’armurerie, l’orfèvrerie et… le faux-monnayage.
Ils faisaient jadis partie de la confédération des Aït Betroun, aujourd’hui disparue.
Les Aït Yenni habitaient de très grands villages, dont plusieurs dépassaient les mille habitants et ressemblaient presque à des villes.
Aït Lahcène comptait 2 400 habitants dans les années 1840, ce qui en faisait le village le plus peuplé de Kabylie à l’époque.
La plupart de leurs villages avaient plusieurs mosquées, certaines surmontées d’un minaret — chose rare à cette période.
Leurs maisons étaient toutes couvertes en tuiles, et beaucoup étaient à étages.
La légende raconte que les Aït Yenni et les Aït Ouacif descendent d’un certain Aïssam — un impie toujours en guerre avec ses voisins.
Frappé d’une révélation divine lors de son passage à Tizi Msellem, chez les Aït Ouacif, il s’y installa et devint un homme pieux.
Il eut deux fils : Yanni, un assassin, et Wasif, un imposteur.
Ces deux hommes se partagèrent le pays et fondèrent les tribus qui portent aujourd’hui leurs noms.
Une malédiction divine les aurait frappés, expliquant pourquoi les Aït Yenni et les Aït Ouacif furent presque toujours en guerre au fil des siècles.
Les Aït Yenni sont mentionnés pour la première fois au XIVᵉ siècle par Ibn Khaldoun, qui les décrit comme une des tribus les plus importantes des Zouaoua, séparée des Aït Betroun.
À la même époque, un certain Ahmed Ibn Amrane Al-Yennawi, un disciple de Nasir ed-Din el-Mcheddali, était originaire des Aït Yenni.
En 1747, le Bey du Titteri Mohammed Ben Ali, surnommé « ed-Debbah », l’égorgeur, essaie de soumettre les Aït Betroun, mais est vaincu à Tamda Lmexzen sur le territoire des Aït Ouacif, durant une bataille où les Aït Yenni ont sans doute participé.
Selon la légende, les ottomans battirent à cette époque une mosquée de style mauresque dans chacun des trois villages des Aït Yenni. De ces trois mosquées dites turques, ne subsistent que celle de Taourirt Mimoun et une partie de celle d’Aït Larba.
En 1749, les Aït Yenni participent à l’assemblée du souk des Aït Ouacif, durant laquelle les Aït Betroun et leurs alliés supprimèrent le droit des femmes à l’héritage.
Parmi les représentants des Aït Yenni présents, on retrouve le marabout Sidi Mohammed Ameziane, Mohammed Ben Jaber, El Houcine Ben Mâamar et Mohammed Ben Messaoud.
En 1818, une épidémie de peste frappe le territoire des Aït Yenni.
Les habitants y voient une punition divine pour avoir défié la charia.
Ils tiennent alors une grande assemblée dans le village d’Aït Lahcen et restaurent le droit des femmes à l’héritage.
À cette époque, 1749, les Aït Yenni ne comptaient que trois villages : Aït Lahcen, Aït Larba et Taourirt Mimoun.
Le quatrième, Taourirt El Hadjadj, appartenait autrefois à une tribu nommée Aït Ou Belkacem.
Une guerre civile éclata dans ce village entre un parti soutenu par les Aït Yenni et un autre soutenu par les Aït Ouacif.
Le village, alors appelé Takhabit, se trouvait aux frontières des Aït Yenni, et ces derniers firent tout pour qu’il ne tombe pas aux mains de leurs rivaux.
Youcef ou-Kaci raconte cet épisode dans un poème célèbre, relatant la violente bataille où soixante-quinze guerriers trouvèrent la mort : trente des Aït Yenni et quarante-cinq des Aït Ouacif.
Le village fut détruit, annexé par les Aït Yenni, puis rebâti plus au nord, à l’emplacement actuel de Taourirt El Hadjadj.
- Ass n lexmis mi sen-zzin
- Yekker uɛeǧǧaj
- Yebda lbaṛud n lexzin
- La yettenṭaj
- Xemsa u sebɛin i yeɣlin
- Ɣas ɣef Tewrirt Lḥeǧǧaǧ
- Le jeudi ils ont encerclé le village
- Au milieu des nuages de poussière
- La vieille poudre
- S’est mise à crépiter
- Soixante-quinze guerriers sont tombés
- Pour la seule Taourirt El Hadjadj
- Ar yiḍ mazal-iten din
- I tembbeṭṭaj
- Ɣer tɛessast i ggaren aɛwin
- Kulyum d asraǧ
- Ulac tifrat yiwen ddin
- Ɣas ma tekna neɣ ad teggaǧ
- Ils y sont encore aujourd’hui
- Au milieu des éclairs des coups de feu
- Ils prennent des provisions pour la garde
- Chaque jour harnachant leurs montures
- Point de quartier une seule issue
- La soumission ou la ruine
- A ṭṭir yufgen iɛella
- Ifer huzz-it
- Ḥebsen leǧwad lemḍilla
- Ḥedd ma nẓer-it
- Ass-nni ur yerbiḥ sslam
- Mi myugen ṭṭrad n twaɣit
- Oiseau au haut vol
- Déploie les ailes
- Vers les guerriers valeureux enfermés tout le jour
- Et que nous ne voyons plus
- Le jour fut funeste
- Où ils se sont livré un combat désastreux
- Tlatin ḥesbeɣ kamla
- Ssarden semmḍit
- Ay yeɣlin deg ṭṭwila
- Ɣef teqbaylit
- Kra n win yeṭṭef ḥedd n lɣila
- Yečča-ten ṭṭrad msakit
- Ils étaient trente en tout
- Lavés et refroidis
- Combiens de longs fusils sont tombés
- Pour l’honneurs kabyle
- L’instant critique les a saisis
- La guerre les a dévorés pauvre d’eux
De nombreuses autres guerres opposèrent les Aït Yenni à leurs voisins :
- contre les Aït Ouacif, notamment autour du village d’Aït Abbas ;
- contre les Aït Iraten, où plusieurs villages furent attaqués ou brûlés ;
- contre les Aït Aïssi, où les Aït Yenni incendièrent Tizi Hibel et Agouni Arous et prirent femmes et enfants en otage ;
- et même une guerre de douze jours contre les Aït Attaf.
Les huit villages actuels se sont formés peu à peu :
- Taourirt El Hadjadj, reconstruit après la guerre des Aït ou-Belkacem ;
- Tigzirt, fondé par un clan venu d’Aït Abbas chez les Aït Ouacif ;
- Tansaout, fondé par un marabout, Sidi Ahmed ou-Zegane, et servant de village neutre ;
- Agouni Ahmed, fondé par Ahmed ou Hamza, extension de Taourirt Mimoun ;
- et Taourirt Issoulas, extension récente d’Aït Lahcen.
En 1830, lorsque les Français débarquent à Sidi Fredj, les Aït Yenni participent à la défense d’Alger, menés par Brahem ou-Ahmed et le marabout Si El Hadj Lamine.
Ils se distinguent ensuite par leur opposition farouche à l’autorité coloniale et participent à la plupart des batailles de résistance.
Après la chute des Aït Iraten en mai 1857, les Aït Yenni occupent le territoire des Aït Aouggacha et des Aït Oussameur, et mènent plusieurs attaques contre l’avant-poste français d’Aboudid.
Ils se retranchent dans le village d’Icheriden, aux côtés de Si Seddik ou Arab, Si El Hadj Amer, les Aït Menguellet et d’autres tribus du nord du Djurdjura.
Le 24 juin 1857, lorsque les Français attaquent Icheriden, les Aït Yenni sont en première ligne et subissent de lourdes pertes.
Le lendemain, deux divisions françaises attaquent directement leurs villages, pratiquement sans défense.
Aït Larba, Aït Lahcen, Taourirt Mimoun et Taourirt El Hadjadj tombent successivement.
Les quatre villages sont entièrement détruits et brûlés.
Le 30 juin 1857, Aguemoun Izem, dernière poche de résistance, tombe à son tour.
Les Aït Yenni déposent les armes et se soumettent au maréchal Randon.
Ils prendront part à la révolte de Mokrani en 1871, sous la conduite de Mohammed n Aït Ammar d’Agouni Ahmed.
Ils déposeront les armes le 27 juin 1871, après la seconde bataille d’Icheriden, et seront frappés d’un impôt de guerre de 188 300 francs.
Parmi les grandes figures issues des Aït Yenni, on retrouve :
Mouloud Mammeri, Idir, Brahim Izri, Kasdi Merbah et Mohammed Arkoun.
Et, petite note d’actualité : au moment où j’écris le texte de cette vidéo, les résultats du concours Aïssat Rabah du village le plus propre de la wilaya de Tizi Ouzou viennent de tomber — et c’est Aït Lahcen qui a remporté le prix du “super concours”, récompensant les villages ayant déjà participé aux éditions précédentes.
Avant la conquête de 1857, le village d’Aït Larba était le véritable centre industriel des Aït Yenni.
On y produisait de la poudre à canon, on y fabriquait des bijoux en argent — comme encore aujourd’hui —, et cinq familles y battaient de la fausse monnaie.
Les armuriers d’Aït Larba fabriquaient également des fusils et des pistolets réputés meilleurs que ceux de Tunis.
Et selon la rumeur, leurs fausses pièces circulaient jusque dans le Sahara, à Tunis, Tripoli… et même au Maroc.
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